dimanche 1 avril 2012

FAUT-IL REGRETTER LE PARTI UNIQUE ?

Dans l’hérésie déshumanisante de la crise ivoirienne, des voix sérieuses ou considérées comme telles, se sont élevées pour dire que les nombreuses guerres qui engraissent les fosses communes d’Afrique, résultent du multipartisme et de la démocratie. Aussi, les entend-on réclamer en sanglotant le monopartisme. Et pour corroborer leur thèse, elles n’hésitent pas à citer le cas de la Côte d’Ivoire. Sous le parti unique, disent-ils, notre pays connaissait stabilité et progrès. « Il ne peut y avoir de développement sans démocratie ? Que nous a donnés pendant quinze ans, ce machin ? Partout ou presque, des conflits interminables. L’Afrique, elle-même, tue, au propre comme au figuré, ses propres enfants. Au nom d’une recherche de démocratie qui réveille nos fonds primitifs qu’on croyait, à jamais, disparus de nos rhétoriques. Hélas encore ! L’actualité ivoirienne nous en livre, à profusion » Ecrit un journaliste ivoirien dans Fraternité Matin du mardi 21 juin 2005 N° 12184). Que c’est pathétique !

A l’analyse, cette vision est erronée. Certes, c’est à partir de 1990, que l’Afrique a connu un nombre pléthorique de conflits armés. Rwanda, Burundi, Congo, RDC, Libéria, Sierra Léone, Côte d’Ivoire (ô Eburnie mienne). Mais présenter le multipartisme comme la source première de nos malheurs, c’est se fourvoyer sur les causes profondes des guerres en Afrique.

Si de 1960 en 1990, la Côte d’Ivoire a bénéficié d’une stabilité politique et sociale, fondement de son progrès économique, ce n’est pas au compte du parti unique qu’il faut la mettre. Le pays avait à sa tête un homme qui défendait becs et ongles les intérêts économiques, politiques et culturels de la France. Les accords de défense rédigés par les Français et signés par Houphouët Boigny et d’autres chefs d’Etat africains, en sont la preuve la plus probante. Houphouët défendant les « trésors » français sur le territoire africain, était assuré de la protection de l’armée française… En guinée, il y avait le parti unique sous Sékou Touré, mais la guinée est demeurée un pays pauvre et instable. Cette situation inconfortable est simplement le prix de l’outrecuidance de Sékou Touré qui a osé dire « non » à la France en 1958. Et ceux qui soutiennent que le parti unique en Côte d’Ivoire avait fait plus de progrès que le multipartisme ignorent simplement que, dans un contexte de pluralisme politique, où la liberté de la critique était consacrée, où le principe de la séparation des pouvoirs était appliqué, Houphouët-Boigny aurait pu mettre notre pays au niveau des dragons de l’Asie. La côte d’Ivoire libérée des griffes de la France, gouvernée par un régime refondateur, aurait été un pays plus riche.

Le parti unique dans son principe même ne saurait garantir la paix dans un pays, le développement encore moins. Le parti unique est l’antithèse de la liberté et du changement. C’est un régime anti-progressiste et inhumain. Souvenons-nous simplement des dégâts que le parti unique a causés dans notre pays : détournements des deniers publics, gabegie, mégalomanie, achats de conscience, tribalisme etc. Et tous ceux qui ont osé critiquer le monarque ont été diabolisés et considérés comme des ennemis de la nation. Leur destin était l’emprisonnement, la torture, l’exil ou la mort : Gbagbo, Mockey, Zadi, Memel Fôté, Kragbé Gnagbé, Ernest Boka, le Sanwi, le Guébié etc. tous ces hommes ont subi les pires traitements. Mais, Houphouët bénéficiant de la couverture totale du réseau Foccart, n’a nullement été inquiété ni par l’ONU ou ni par une quelconque organisation des droits de l’homme.

Une vérité qu’il ne faut pas ignorer est que, avant même l’instauration du multipartisme, l’Afrique a connu des coups d’Etat (au Ghana, au Togo, au Bénin, au Zaïre, en Haute Volta) et des guerres meurtrières et longues (en Angola, au Soudan, au Mozambique etc.) Force est de constater donc que les guerres en Afrique ne sont pas liées à l’instauration du multipartisme. La plupart de ces guerres ont été suscitées par l’occident. Avant 1990 et après 1990, les impérialistes occidentaux ont suscité des conflits armés sur le continent pour préserver leurs intérêts économiques en danger ou pour mieux exploiter nos richesses. Ah non ! Le multipartisme ne saurait être une cause de guerre ou de rébellion. Bien au contraire, c’est le meilleur des systèmes politiques que les hommes ont pu inventer. Sachons-le une fois pour toutes : la Côte d’Ivoire est en guerre parce que la Chiraquie s’est rendu compte que l’actuel chef d’Etat n’est pas prêt à brader les richesses de son pays. La Côte d’Ivoire est en guerre parce que Laurent Gbagbo a un programme de gouvernement qui, appliqué sereinement, va placer le pays sur la voie du développement, et affaiblir l’hégémonie de la France. La Côte d’Ivoire est en guerre parce que si l’on laisse Koudou réussir sa politique de refondation, elle va « contaminer » les autres pays africains et compromettre la mainmise de la France sur l’Afrique francophone. Gbagbo est un mauvais exemple dans le système de pensée de l’impérialisme occidental, un mauvais exemple que l’on doit arrêter à tout prix. Il est temps de prendre conscience que la stabilité d’un pays en Afrique dépend des rapports de ses dirigeants avec les anciens maîtres. Si vous laissez simplement le néo-colon puiser vos richesses comme il l’entend, vous aurez la paix. C’est le cas de Bongo qui a mis le pétrole du Gabon à la disposition de la France. Aujourd’hui il s’affuble du titre de « doyen des chefs d’Etat africains ». Si au contraire, vous cherchez à faire bénéficier vos compatriotes des richesses de votre pays au détriment de la métropole, soyez sûr d’une chose : vous serez confronté à un coup d’Etat ou à une guerre. C’est le cas de Gbagbo et de la Côte d’Ivoire actuelle. Et c’était le cas de Sankara, de Lumumba, de N’krumah, de Lissouba etc. Les exemples sont légions.

Voilà la réalité africaine. Ne regrettons donc pas le parti unique. L’Afrique, tout comme les autres continents, a besoin aussi de vivre dans un environnement de pluralisme politique, de liberté, d’égalité. Les noirs ne sont pas des sous-hommes qui ne s’épanouissent que sous un régime autocratique et despotique. Le jour où l’Afrique arrachera sa liberté, les guerres s’arrêteront et le développement sera possible. Alors, ne regrettons pas le parti unique !

Macaire Etty
source : Le Temps

Paru dans Le Filament N°20
 

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