mardi 27 juillet 2010

Fawzia Zouari

Professeur, romancière et journaliste

Nous avons choisi de mettre à notre Tableau d’Honneur de ce mois d’août, encore une dame, mais pas n’importe laquelle. Puisque Mme Fawzia Zouari, car c’est d’elle qu’il s’agit, est Docteur en Littérature française et comparée de l’université de la Sorbonne de Paris.

Née en Tunisie, originaire de la région du Kef, non loin de l'Algérie, Fawzia Zouari est arrivée à Paris en 1979. Par bonheur, Paris lui a, d’emblée, ouvert grandes de nombreuses portes, notamment dans les domaines les plus variés de la culture, de l’éducation et de la communication. Elle a, en effet, travaillé dix années durant, de 1987 1996, pour l’Institut du Monde Arabe, à différents postes, en tant que animatrice culturelle, rédactrice du magazine Qantara, entre autres. Avant d'être à l'Institut du monde arabe, elle a en charge les relations de presse pour des expositions de peinture à l'ONU. Elle a également participé à des ateliers de théâtre dans des quartiers à forte population immigrée et présidé le Cercle des intellectuels arabes.
Après avoir collaboré à une radio arabe de Paris, elle a rejoint en 1997 le magazine hebdomadaire -Jeune Afrique-, dont, depuis lors, les lecteurs connaissent et savent apprécier, à leur juste qualité, ses chroniques socio-culturelles.

Par ailleurs, Mme Fawzia Zouari est membre des comités de rédaction des revues « Confluences », « Méditerranée » et « Intersignes ». Elle est très impliquée dans le cinéma, entre autres, en tant que membre du jury du Festival francophone de Namur. Mais, c'est à l’écriture qu'elle consacre l'essentiel de son énergie créatrice, voire de sa vie. A preuve, elle a écrit et publié plusieurs articles et chroniques, et plus dune dizaine de livres dont La Retournée, (Ed. Ramsay) a obtenu le prix spécial des cinq continents de la Francophonie en 2003, et La Deuxième épouse, (Ed. Ramsay) a reçu en 2007 le Comar d’or, la principale distinction littéraire en Tunisie.

Dans La Retournée, Fawzia Zouari nous parle dune jeune fille, Rym, qui vit en France depuis plusieurs années, et qui, ayant appris le décès de sa mère, retourne, avec sa petite fille de cinq ans, dans son village, au nord-ouest de la Tunisie. « Retournée », car elle y revient au pays natal. « Retournée », aussi, car elle voudrait qu'on lui pardonne, que les habitants du village ne lui tiennent pas rigueur d'avoir fui ce pays. « Retournée » enfin, car elle va rencontrer un homme qu'elle n'attend pas, dans ce pays qu'elle n'a pas vu depuis plusieurs années déjà.

En 1997, elle a publié Pour en finir avec Shhrazade, un essai où elle explore quelques aspects des traditions propres à la culture arabo-musulmane qui contraignent à refuser la confession et à toujours commencer un récit par : « Il tait une fois... ».
Ce pays dont je meurs, paru en 1999, aux éditions Ramsay, lui a été inspiré par un fait divers chargé de sens : le décès par inanition, Paris, de deux jeunes Algériennes. Ce qui requiert son attention et son intérêt, c’est que cette fin tragique vient sanctionner l'échec de leur intégration dans leur société d’accueil. Son engagement a été concrétisé, une fois de plus, par ses deux ouvrages Le Voile islamique, (Ed. Favre) et Ce voile qui déchire la France (Ed. Ramsay). Ici, elle prend position dans l’affaire du voile islamique. Ces ouvrages s'inscrivent dans le prolongement des enquêtes qu'elle a menées sur ce thème pour Jeune Afrique.

Le thème central ou fil conducteur des œuvres de Fawzia Zouari porte essentiellement sur le traumatisme de l'exil, en rapport avec sa propre vie. A la différence près que son exil demeure une source plutôt d'enrichissement, contrairement bien d’autres personnes qui vivent l’éloignement du pays natal comme une situation permanente de douleur. En tout cas, Mme Fawzia Zouari a réussi l’exploit d’être à l'aise, tant en France qu'en Tunisie et de maîtriser parfaitement la langue et les codes culturels de chacun des deux pays. Ceci est tout à son honneur et nous autorise à dire qu’elle mérite, bel et bien, de figurer au tableau d’honneur du Filament, pour instruire les jeunes que la réussite et le bonheur n’ont pas de frontières, ni de couleur, ni de sexe.

Un autre fait important de la vie de Mme Fawzia Zouari, c’est que lorsqu’elle a décidé de poursuivre ses études à un très haut niveau, elle s’est heurtée aux réticences de son entourage, y compris sa propre mère, dans leur vision étriquée, selon laquelle le destin d'une jeune fille est de rester à la maison. On comprend dès lors pourquoi les thèmes tels que la quête de l'identité, la condition de la femme arabe, la rencontre des cultures… sont, chez elle, des sujets récurrents et essentiels et préoccupants. On comprend aussi pourquoi, en 1979, lorsqu'elle s'installe à Paris, elle choisit, pour sa thèse de doctorat un étonnant personnage qui eut presque le même itinéraire qu'elle, mais a rebours : Valentine de Saint-Point, petite nièce de Lamartine, convertie à l'Islam et morte au Caire en 1953, après avoir épousé la cause du nationalisme arabe. Il faut préciser que c’est de cette recherche qu’est sorti son livre, La Caravane des chimères, publié par Olivier Orban, en 1989.

La bibliographie de Mme Fawzia Zouari comprend, en outre, Ce pays dont je meurs (Ed. Ramsay), comporte des ouvrages intéressants et enrichissants, de par la variété de ses thèmes et surtout de par la qualité de son style, comme en témoigne ce message de Faten Mootamri, envoyé de Yasminaureli (Tunisie) à Mme Fawzia Zouari, Il y a quelques années :
« Après lecture de votre ouvrage Ce Pays dont je meurs, que j'ai achevé en deux jours, je tenais à vous féliciter de ce style aussi léger et profond en même temps qu’expressif, spontané, riche, pour ainsi dire parfait. Je vous découvre à travers cet ouvrage émouvant et je ferai tout pour avoir vos autres ouvrages qui pourraient ne pas être disponibles en Tunisie, quitte à faire le voyage à Paris. Voilà, en si peu de mots, ce que je ressens à l'instant même où je viens de finir la dernière page de ce livre, avec amertume, priant Dieu qu'il ne finît jamais, tellement sa lecture m'avait emportée dans d'autres cieux… N'est ce pas le fait du génie de l'auteur !... ». Faten Mootamri.
Si vous avez lu les livres de Fawzia Zouari, n’hésitez pas à nous faire partager vos impressions et vos avis. Envoyez-nous vos commentaires, analyses et compte-rendu, etc. Nous les publierons dans nos prochaines parutions.

Léandre Sahiri

Paru dans la rubrique Tableau d'Honneur du Filament N°7



Autopsie de la déontologie médicale en Afrique : Le cas du Sénégal

On ne peut, à moins d’être nihiliste, refuser d’admettre que des progrès appréciables ont été accomplis en matière de santé publique au Sénégal. Le maintien du taux de prévalence du VIH/SIDA, à un niveau enviable en Afrique, et les résultats probants obtenus dans la lutte contre le paludisme en sont quelques illustrations. Mais, fondamentalement, l’œuvre médicale dans les hôpitaux publics notamment, est gangrénée par une conscience médicale comateuse irrigant des attitudes professionnelles désastreuses voire criminelles. En effet, comment expliquer qu’un médecin ayant prêté serment et dépositaire d’une mission vitale de service public, puisse tourner le dos à un mourant au motif que l’établissement qu’il dirige n’a plus de place ? Ne se serait-il pas précipité sur lui pour lui apporter des soins élémentaires s’il s’agissait de son enfant ou de son conjoint ?

L’insouciance et l’écrasement de la dignité humaine, maintes fois reprochés aux Africains, ont fini par abattre la déontologie médicale. Au-delà de l’indignation que suscite ce deuil, il convient d’en faire l’autopsie pour essayer de comprendre comment des hommes et des femmes censés apporter des soins et du réconfort aux patients ont pu s’arracher à un minimum de conscience professionnelle pour hisser l’action publique médicale au pinacle de la grossièreté.

Les symptômes pathologiques de cette mal gouvernance hospitalière sont patents et la banalisation dont ils font l’objet confirme la thèse selon laquelle l’Africain, en général, n’a de respect, ni pour la vie, ni pour la mort. L’insalubrité, le népotisme et la désinvolture règnent en maîtres souverains dans les hôpitaux, centres, postes et cases de santé sous le regard passif des autorités et des usagers. Certains malades internés partagent des chambrettes malodorantes avec des souris et des cafards, témoins d’une saleté devenue ordinaire. Par exemple, à Dakar, dans certains centres de santé situés dans des quartiers chaotiques soumis à la dictature du bruit et du désordre, des badauds déambulent sottement dans les salles de soin, violant sans conscience l’intimité des malades, y compris celle des femmes en pleine séance d’accouchement.

Le Plan SESAM dédié aux personnes âgées est régulièrement piétiné. Au service d’accueil, le personnel n’a généralement aucune sollicitude envers des malades désespérés et fait preuve d’une lenteur administrative épouvantable devant des situations d’urgence. Le malade lui-même n’est pas respecté. Lorsqu’il arrive à des heures tardives, même aux urgences, il est boudé et soumis à un service minimum et désinvolte, coupable qu’il est de troubler le sommeil du personnel de garde. Le personnel médical est d’ailleurs généralement nonchalant, désagréable et parfois impoli, sauf lorsqu’il est soudoyé par les parents du malade. Lorsque le pensionnaire est une haute personnalité religieuse, politique ou économique, le personnel de service, tout en délaissant les patients ordinaires et inutiles, s’affaire autour de lui avec un zèle ostensible, dopé par l’espoir d’une récompense corruptive.

Aux malades ou à leurs accompagnants, on demande d’acheter une pléthore des médicaments dont la plupart sont manifestement inutiles. Le médecin en administre un ou deux et, anesthésié contre la honte, subtilise le reste pour le vendre astucieusement à d’autres patients.
A la cuisine, la viande fraîche et les autres aliments réservés aux malades sont quotidiennement détournés au bénéfice des employés qui les amènent à la maison pour leur ration quotidienne, sinon vendus au public. Certains employés profitent du sommeil des malades pour voler les fruits et le lait offerts par les visiteurs.
Les toilettes des salles d’hospitalisation sont horriblement sales et ce sont parfois les accompagnants qui les nettoient pour éviter que le malade n’attrape d’autres infections liées au manque d’hygiène.

Le laxisme et la permissivité dans le service public se sont donc emparés des milieux médicaux publics où l’on retrouve des balayeuses, d’anciens accompagnants de malade et des gardiens analphabètes qui, à force de rôder dans les couloirs de l’hôpital, sont devenus sages-femmes ou infirmiers de fait. Prétentieux et usurpateurs de titre, ils traitent des malades et commettent des erreurs fatales, occultées avec la complicité du médecin traitant.
Au lieu de s’acquitter du suivi correct des malades qu’ils viennent d’opérer, de nombreux médecins, détournés de la déontologie professionnelle par l’attrait du gain financier, les abandonnent à des mains inexpertes et courent vers les cliniques privées à la recherche d’interventions onéreuses. D’autres s’empressent d’effectuer une césarienne que rien n’impose pour empocher les honoraires de l’intervention chirurgicale. On ne peut pas reprocher à un travailleur de se soucier de sa situation financière après de longues années d’études, mais les préoccupations de carrière ou de gain facile ne doivent jamais primer sur des vies humaines.
Il est vrai que l’Etat doit assurer au personnel du service public hospitalier d’excellentes conditions de travail, compte tenu de la mission capitale dont il est investi. Mais, même si, dans ce sillage, les revendications du corps médical tendant à la revalorisation des conditions d’exercice de la profession sont défendables, rien ne justifie que d’innocents malades fassent l’objet de traitements désobligeants et cavaliers de la part de ceux-là mêmes qui sont appelés à les soigner et a sauver des vies humaines.
Il est vrai que les usagers ont aussi une part de responsabilité dans le désordre qui prévaut dans les hôpitaux publics. Certains malades s’amusent à consulter des charlatans et attendent d’être au bord de la mort pour aller accabler le médecin. Et lorsqu’on les retient pour hospitalisation, ils attirent une foule inutile de parents et amis affolés qui assiègent la salle d’hospitalisation et empêchent le personnel médical de faire correctement son travail. Des parents, sortis de villages lointains, campent dans le jardin de l’hôpital, le salissent, y passent la nuit alors qu’ils ne sont d’aucun secours au malade. Certains d’entre eux déposent leur baluchon au chevet du malade pour profiter des repas apportés par les proches parents.
Si de tels agissements sont particulièrement intolérables, c’est parce qu’ils sévissent dans un secteur directement lié à la vie humaine. Mais, en réalité, ils sont symptomatiques d’un malaise général et profond qui frappe le service public au Sénégal, comme dans tous les autres pays africains, et qui s’explique conjointement par le déficit d’esprit citoyen et la mauvaise éducation.

Que faire alors pour ressusciter la déontologie médicale ?
D’abord la prévention. Il faut, en effet, veiller à ce que la santé des personnes ne soit plus confiée à des bricoleurs peu conscients de la dignité humaine, bannir les recrutements douteux et recourir à des personnes de bonne moralité pour animer le secteur clé de la santé.
Ensuite, l’éducation. C’est connu, l’éducation au Sénégal est en lambeau. On a formé beaucoup de cadres et de techniciens, mais peu de citoyens. La connaissance du corps humain et des maux qui peuvent l’affecter ne suffisent pas pour faire un médecin du secteur public ; il faut, en plus, dans ce métier sacerdotal, une conscience professionnelle et civique élevée qui résiste à l’appel de la corruption et du parti pris et qui s’aligne à la préciosité de la vie humaine.
Enfin le bâton, pour frapper, avec la dernière énergie, les pseudo médecins dont la négligence a causé des catastrophes impunies.

Dr Rosnert Ludovic Alissoutin
Consultant international

Paru dans la rubrique Libre propos du Filament N°7



La Côte d’Ivoire malade de ses intellectuels

7 aout 1960-7 aout 2010. Notre pays commémore aujourd’hui 50 ans d’indépendance. A ce stade de la vie de notre Nation, il convient aussi de nous interroger rigoureusement sur le rôle de nos intellectuels dans la marche de notre pays. Quel a été leur apport dans la gestion de nos 50 années d’indépendance ? L'heure est venue de questionner les Ivoiriens sur le rapport de l'intellectuel à la société ivoirienne. Quelle a été leur responsabilité dans l’état actuel de notre pays ? Qu’attendait-on d’eux ? Où sont-ils aujourd’hui ? Que font-ils ?

La réponse, c’est Paul Nizan qui la donne dans « Les Chiens de garde » : « Ils gardent leur silence. Ils n’avertissent pas. Ils ne dénoncent pas... L’écart entre leur pensée et l’univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour. Et, ils ne sont pas alertés. Et, ils n’alertent pas. L’écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu’il ne fut jamais. Et, ils ne bougent point… ». C’est un constat triste et amer. Qu’après 50 ans, nos intellectuels continuent de faire le sempiternel procès de la traite négrière, de la colonisation, de la néo-colonisation, de la mévente des matières premières ou de leur pillage. C’est vrai qu’on ne doit pas faire comme si l’esclavage et ses ravages n’ont jamais eu lieu. Mais, on ne doit pas non plus rester figé à l’émotion de cette parenthèse horrible de notre histoire. Et, être frappé d’inimagination politique. Parce qu’il est clair que le bilan politique de notre pays est honteux. Mais, celui des intellectuels est des plus catastrophiques. Car, force est de le reconnaitre, leurs actions ont été plus dangereuses et plus dévastatrices, plus insidieuses et plus vicieuses, parce qu’agissant directement sur la conscience des populations.

Depuis l’indépendance, nos intellectuels se partagent, quasiment seuls, l’espace politique et exercent des fonctions de pouvoir… Ils ont choisi de défendre, égoïstement, leur chapelle et d’ainsi sacrifier l'intérêt général au profit du leur. Certains ont même développé la mauvaise foi et la malhonnêteté intellectuelle, prémices de la dépravation des mœurs à laquelle nous assistons, impuissants. D’autres se sont perdus dans un nombrilisme suicidaire. Hélas ! Et pourtant, on attendait d’eux qu'ils endossent la tâche exaltante de modeler la société et de se poser en vecteurs des valeurs positives. Au contraire, ils ont préféré inoculer à la population le virus des inconduites nocives à la société. Ils ont inscrit ces comportements de déstabilisation sociale dans notre culture, poussant la population à haïr et à dédaigner la vérité, l’honnêteté, la responsabilité, le civisme, etc. Des attitudes qui ont inondé la Côte d’Ivoire de fausses idéologies et ruiné la population toute entière. En définitive, ils ont bradé tout ce qui leur restait de crédibilité. Dans un tel environnement, la population, miséreuse à outrance, a perdu tous ses repères, ses modèles et même sa foi en la vie. Elle en est donc venue ainsi à développer des réflexes de survie caractérisés par la corruption, le je-m’en-foutisme, le pillage des biens publics, la prostitution, etc. Aujourd’hui, on déplore l’indolence des populations devant leur propre réalité, mais on oublie de rappeler de quelles fables on les a bercées 50 ans durant…

Ainsi, nos intellectuels se sont-ils tus. Et le bruit de leur silence cinquantenaire est devenu bien plus qu’assourdissant. Surtout, en cette période de crise aiguë que nous avons du mal à traverser. En fait, ils ont tu la Vérité pour promouvoir des fausses valeurs sur lesquelles a été bâtie une fausse réalité sociale et politique. Ceux qui étaient censés être nos lumières nous ont plongés dans les ténèbres. Pendant 50 ans, nos intellectuels n’ont pas su améliorer notre perception de nos handicaps majeurs. Pis, nos historiens n’ont même pas été capables de nous offrir une grille de lecture simple et efficace qui rende intelligibles les raisons de nos faiblesses et de nos défaites historiques. Pour éviter ces responsabilités historiques, et sociales, ils ont installé des comportements de nature à faire prospérer le désespoir, la fatalité… l’absence de toute éthique de la vérité et de la morale.

N’est-ce pas eux les fameux idéologues des régimes qui ont bloqué toute idée d’ouverture et de modernisation de notre pays ? 50 ans durant, ils ont soutenu la « géopolitique » qui est un injuste système des équilibres régionaux au détriment de la compétence, y compris dans les examens et concours, et lors des recrutements et nominations à des postes de responsabilité. Si des idées comme « la terre appartient à celui qui la met en valeur » ou « on ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille des arachides », « l’éducation télévisuelle », « le complot du chat noir », « la rébellion armée du 19 septembre 2002 », etc. ont prospéré et détruit notre pays, c’est bien grâce à la caution de ces intellectuels ou supposés tels. Ils ont soutenu, à cors et à cris, qu’on pouvait tripatouiller la Constitution, comme un simple règlement intérieur d’association de quartier. Ce sont les mêmes qui ont dit que le parti unique était une chance pour notre pays et le multipartisme, une vue de l’esprit. Ce sont eux qui ont défendu, avec force ferveur, les programmes d’ajustement structurel. Ce sont eux encore qui, aujourd’hui, dénoncent doctement et avec véhémence les ravages causés par ces PAS. Comment des gens qui sont supposés mieux connaître les réalités de notre pays, ont-ils pu se faire dicter des mesures économiques par des jeunes cadres sans expérience du FMI et de la Banque mondiale ? Quant à leur conviction politique, inutile d’en parler. Car, pour parvenir au sommet de l’échelle sociale, ils ont trempé dans toutes les combines politiques et « intellectuelles », dans tous les compromis et dans toutes les compromissions, parfois jusqu'à l’impossible. Ils ont participé à toutes les rapines économiques. Ils ont expérimenté toutes les idéologies et tous les régimes : ils étaient, hier, houphouétistes ; ils sont devenus bédiéistes, puis guéistes ; ils sont aujourd'hui gbagboéistes. Pendant 50 ans, ils se sont reniés et ils ont ruiné le crédit de leur corporation, en trahissant leur vocation à la Sagesse. Finalement, leur rapport à la population fait penser à cette parabole : « le ventre de ma mère peut être fermé, du moment que j’en suis sorti ! »

En clair, c’est de morale qu’il faudra parler aujourd’hui aux intellectuels ivoiriens. Car, s’il est une valeur qu’ils ont oubliée, c’est bien celle-là : la morale. Non pas pour l’asséner aux autres. Mais, pour l’appliquer à eux-mêmes. Car, s’ils sont aujourd’hui inaudibles, c’est qu’eux-mêmes n’entendent pas ce qu’ils doivent entendre : la parole des autres, la parole du peuple. Et s’ils n’entendent pas, c’est qu’ils n’écoutent pas. Or, être intellectuel c’est non simplement parler, mais, par sa parole, écouter, et aller chercher la vérité là où elle se trouve, c’est-à-dire dans la parole des autres. A. Fornet écrivait, à ce propos, que « l’intellectuel est obligé d’être le critique de lui-même, avant de prétendre pouvoir être la conscience critique de la société ».

Comme l’a écrit Antonio Gramsci dans ses Cahiers de prison, « on peut dire que les hommes sont des intellectuels, mais que tous les hommes n’ont pas, dans la société, la fonction d’intellectuel. » Alors, combien sont-ils dans notre pays à exercer réellement cette fonction d’intellectuelle ? Fort heureusement, il existe encore chez nous des intellectuels, dans le sens noble du terme, des femmes et des hommes probes qui résistent et qui refusent de tremper dans les combines et combinaisons sordides. Et, en ces heures difficiles, il faut le dire, le Pr Mamadou Koulibaly, fait partie de ces rares spécimens en voie de disparition, qui sauvent l’honneur de la classe intellectuelle ivoirienne et qui porte cette charge écrasante avec foi et conviction.
Qu’attendons-nous de nos intellectuels ?
Qu’attend-on d’eux ? Que peuvent-ils donner ? Que doivent-ils refuser ? Dans quelle mesure sont-ils au service de la Nation ?...
Même si, en tant qu’être sociaux, ils ont des appartenances, nous attendons d’eux qu’ils aient conscience que, dans toutes les sociétés, les intellectuels sont, non pas des témoins passifs et indifférents, mais des hommes et des femmes qui, impliqués et attentifs aux réalités de la vie, engagés fermement, font l’histoire, à travers leurs actions pour orienter le destin de leur Nation. C’est à ce prix et grâce à ces qualités qu’un intellectuel est reconnu par la société comme étant un modèle.
Nous attendons d’eux qu’ils soient pareils aux philosophes du siècle des Lumières en Europe, c'est-à-dire des éclaireurs, des leviers du progrès, de la modernisation et de la vraie indépendance. Nous attendons d’eux que, en des temps de crise, ils se manifestent, se distinguent, sortent du lot des communs des mortels, et s’obligent à produire des idées de génie, à proposer des solutions pour dénouer la crise. Nous attendons d’eux qu’ils accompagnent la modernisation de notre pays et en analysent les contradictions avec toute la rigueur qui sied à leur fonction. Car, rien ne défigure plus l’image des intellectuels que le louvoiement, la démission, le silence prudent ou coupable face à l’inacceptable, le vacarme patriotique et le reniement théâtral, l’allégeance servile. Car, l’affiliation politique, l’appartenance régionale et ses fidélités ou accointances ne doivent, à aucun moment et en aucun cas, prendre le pas sur les critères de Vérité et de Justice…

Serge Grah
(Journaliste, Ambassadeur Universel pour la Paix). serge_grah@yahoo.fr

Paru dans la rubrique sous l'art à palabres du Filament N°7



Le rôle des intellectuels africains

Le rôle des intellectuels africains est non seulement d’écrire de nouvelles voies, mais aussi de communiquer massivement des idées audacieuses pour en faire des vérités et pour changer le monde

« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas mais c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles » Sénèque.

Le discours économique sur l’Afrique est généralement dominé par des Non Africains. Et les débats, monopolisés par les stars des medias, les économistes et les politiciens occidentaux, oscillent toujours entre paternalisme et néocolonialisme, entre condescendance et mauvaise conscience. Dans ces discours et ces débats, le continent est plombé par l’image de la misère et la pauvreté qu’on ne peut nier. Et pourtant, l’Afrique dispose d’un dynamisme et d’une réussite qu’il est regrettable d’occulter.
Il est donc urgent que l’Afrique se réapproprie le débat. Il est temps également de sortir de la pensée unique distillée par les bureaucrates des institutions internationales. Car, si l’on fait le bilan des cinquante années d’indépendances, on ne peut que constater l’échec des politiques successives qui ont été imposées à l’Afrique.

D’abord, force est de constater que le système de l’aide internationale a enfermé les dirigeants africains dans une sorte d’inertie. Ceux-ci préfèrent désormais rendre des comptes à la communauté dite internationale plutôt qu’à leurs populations qui ne les intéressent que le jour du scrutin pour mimer un semblant de modèle démocratique. Ils semblent fuir les vrais problèmes, se réfugiant en victimes derrière l’iniquité d’un système, sans rien entreprendre pour lutter contre, d’autant qu’ils tirent d’énormes dividendes personnelles de cette situation. Pourquoi scier la branche sur laquelle on est assis ?
Pourtant, les possibilités de l’Afrique sont énormes et les nouvelles voies de développement sont possibles, encore faut-il oser s’engager sur cette voie de progrès.

On peut cependant s’interroger légitimement : Si le système mondial est contraire aux intérêts de l’Afrique et si les dirigeants africains, dans leur grande majorité, s’en contentent et en tirent eux-mêmes profit, que pouvons-nous faire, à part rester les bras croisés et attendre l’avènement de nouveaux leaders ? Qui pourrait recentrer la réflexion autour de la recherche du bien-être du plus grand nombre ? Qui, à part les intellectuels africains ?
Les intellectuels africains doivent être conscients de leurs immenses possibilités. Leur rôle doit consister, non seulement a écrire de nouvelles voies, mais aussi a communiquer massivement des idées audacieuses pour en faire des vérités.

L’expérience des conservateurs américains montre que certaines idées, considérées comme radicales peuvent, à terme, s’inclure dans la pensée dominante. En diffusant des valeurs et des normes, une nouvelle grille de lecture du monde a été imposée par ces « think tanks ». A travers un processus long et discret, ils ont appris à la société américaine à penser autrement.
Indiquer la voie de la renaissance du continent.
Le Sud-africain Steve Biko disait : « Faites frémir la pensée et vous faites frémir tout un système ». Ceci sous-entend que si les intellectuels n’avaient pas tant de force, pourquoi auraient-ils été persécutés à travers les temps ? Ceci sous-entend aussi que la matière grise est le levier le plus puissant de l’économie. C’est aussi par elle que passe la libération, dès lors que les intellectuels se conduisent en éclaireurs. En tant que tels, les intellectuels africains pourraient se réapproprier l’image du continent en communiquant, dans des termes accessibles à tous, autour des nouvelles voies possibles, des moyens de les mettre en œuvre et des avantages qui pourraient en découler. L’envie d’action doit s’emparer des intellectuels africains, au point de s’arracher au cadre moelleux des ministères et des salles de conférence, pour prendre racine dans le cœur de chaque citoyen, pour prendre faits et causes pour les populations qui souffrent. Les grandes causes avancent mieux quand elles ont le soutien des masses. Chacun peut agir à son niveau : étudiants, universitaires, ONG, syndicats, associations, etc. Chacun peut s’exprimer à travers les écrits, la radio, la télévision, la poésie, l’internet, la chanson, le théâtre, le cinéma, la peinture, le graffiti. L’exemple du cinéaste mauritanien Abderrahamané Sissako est éloquent ; car, quiconque a vu son film « Bamako » comprend, avec la plus grande clarté, les méfaits de l’aide internationale et est convaincu de la nécessité de rompre d’avec ce modèle. Aucune contribution, aucune réflexion n’est inutile, qu’elle soit exprimée dans un cadre de réflexion collective ou de manière individuelle. Les énergies interconnectées vont se décupler et l’internet pourra être un support important pour coopérer, échanger, discuter. On peut douter dans l’isolement ; mais, la force du groupe lève les barrières que notre esprit peut créer lui-même. Ce qui permet de prendre de la hauteur sur les sujets et de développer l’esprit critique, essentiel à l’éveil des consciences. C’est par des étapes successives, mais systématiques, que l’objectif sera atteint. « Le plus grand arbre est né d’une graine menue ; une tour de neuf étages est partie d’une poignée de terre », écrivait le philosophe chinois Lao-Tseu.. Si nous avons le sentiment d’être petit, nourrissons-nous d’exemples réussis et dans ce cadre, une initiative en Turquie mérite d’être soulignée : quatre intellectuels turcs ont su faire avancer le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie grâce à une simple pétition sur internet. Ils ont certes été décriés par les autorités de leur pays ; mais, au final, ils ont contribué à faire avancer le débat figé depuis des décennies, alors qu’ils n’étaient que quatre. On peut également constater, qu’à force de critiques répétées les institutions financières internationales s’engagent vers une réflexion nouvelle visant à revoir leur action et leurs exigences auprès des pays emprunteurs. L’avancée est certes timide ; mais, celle-ci mérite d’être soulignée.

L’un des traits caractéristiques de l’intellectuel est son refus du silence face à l’inacceptable. Ne pas le faire, c’est démissionner. Il faudra travailler sans relâche pour s’affranchir du contexte, consentir des sacrifices ; car, rien ne vient sans effort. Chacun de nous a sa place dans ce grand combat du 21e siècle qui amènera le continent dans le concert des grands. Le combat commence en nous. Car, avant de communiquer, il faut se convaincre soi-même. C’est par le travail, la recherche, les conférences que nous enrichirons la base de connaissance essentielle à une analyse lucide et pertinente. Ne prenons jamais pour argent comptant une analyse, même si elle vient d’organisations qui nous paraissent respectables. Ayons l’esprit critique et curieux. Ne plaignons pas notre temps et notre travail car la connaissance est la voie du respect de soi-même et la voie du salut du continent que nous aimons. Ne soyons pas des pions endormis !

En Côte d’Ivoire, on a coutume de se rassurer en disant «ça va aller !». Tout nous incite à croire que ça va aller. Mais, on perd souvent de vue que ca ne va pas et que pour que ça aille : il faut oser !

Adjé Kouakou, Producteur et Présentateur de l’émission AMANIEN.
Voice of Africa Radio à Londres

Paru dans la rubrique Amanien du Filament N°7



Des budgets colossaux du cinquantenaire

Beaucoup d’argent et beaucoup de bruits pour rien
Dans un article publié dans le numéro hors-série 24 de Jeune Afrique de mai 2010, M. Mahamadou Camara révèle « les budgets annoncés en 2010 pour les célébrations du cinquantenaire de l’indépendance des pays d’Afrique: 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) en Côte d’Ivoire, 17 milliards de F CFA (26 millions d’euros) au Congo, 14 milliards de F CFA (21,3 millions d’euros) au Cameroun... Etalées sur trois jours, les festivités du cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal ont coûté aux contribuables sénégalais environ 1,5 milliard de F CFA pour l’organisation du défilé et les réceptions données en l’honneur de la vingtaine de chefs d’Etat présents».
Au vu de ces chiffres, le moins que l’on puisse penser, c’est que ces budgets « pour faire la fête » sont, comme l’a écrit M. Mahamadou Camara dans son article, des « montants pharaoniques », eu égard aux objectifs et au regard du niveau de vie dans ces pays et du piteux état dans lequel se trouvent leurs services publics.

De ce fait, la première question qui me vient à l’esprit, et que vous vous posez sans doute, est la suivante : d’où vient cet argent ? ... M. Mahamadou Camara n’en dit rien, et pourtant, il est important de savoir ou on a pris cet et s’il ne vient pas, ainsi, sans conscience, alourdir encore plus les dettes de ces pays. Il est également important de savoir pourquoi ces sommes, si elles émanent des budgets nationaux, n’ont jusque-là pas été utilisées pour les besoins, prioritairement, en santé, en éducation, en lutte contre l’insalubrité, en création d’emplois…, pour les populations locales ? Parce que les besoins et les priorités, ce n’est pas ce qui manque chez nous, n’est-ce pas ?...
Dans tous ces pays où l’on manque parfois du minimum vital, où le chômage des jeunes, diplômés, qualifiés ou non, demeure une épidémie, entre autres maux, où 80% des populations vivent sous le seuil de pauvreté, peinent à s'assurer un repas convenable par jour, à se soigner convenablement, à bénéficier des conditions adéquates d’études et de promotion, ces sommes-là, ont aussitôt fait l’objet de toutes les convoitises, allant jusqu'à faire germer des « idées » dans la tête de nombre de personnes, donnant lieu à un gigantesque business. En effet, de nombreux hommes d’affaires dont, au premier rang, les agences de communication et les sociétés d’événementiel, ont ainsi rapidement contracté des partenariats avec les comités d’organisation et ont proposé leurs services pour médiatiser les activités liées à cet anniversaire que l’on veut, coûte que coûte, prestigieux, « mémorable ».

Dans tous ces pays, ces sommes, comme le souligne M. Mahamadou Camara, ressemblent davantage à des gâteaux. Ainsi, « chacun y est allé de son initiative ou de son projet pour croquer (extorquer ou escroquer) une part de ces gâteaux à cinquante bougies ». On a vu et on voit alors les commissions, les sous-commissions et les comités d’organisation, rivaliser de projets et de programmes, s’entre-déchirer pour gérer ces budgets, pour médiatiser et fêter en pompe, exhiber des factures et des devis si élevés qu’on se demande parfois où en est le sérieux. On parle même de détournements de fonds et de manifestations fantoches, impliquant, plus ou moins, la complicité ou la participation de certains intellectuels, artistes et politiques…

Une autre réalité de ces cinquantenaires, toujours selon M. Mahamadou Camara, concerne les premiers responsables des structures mises en place. D’abord, il faut noter que, même si certaines commissions sont des structures indépendantes, comme en Côte d’Ivoire, la plupart sont intégrées au sein du ministère de la Culture, comme au Cameroun, ou au Burkina… C’est doute pour faire croire que ces pays ont choisi de mettre l’accent sur la promotion de leur histoire et de leurs atouts culturels. Et pourtant, en lieu et place de richesses en matière d’artisanat, de littérature et d’arts, on ne nous sert que des « plats réchauffés », du folklore et de la routine : concours de beauté, défilés de mode, matches de gala, colloques et conférences avec des thèmes ressassés ou édulcorés, émissions radio et télé vides mais fortement médiatisées, etc. Comme si l’on manque vraiment d’imagination et d’intelligence pour innover. Ce qui amène à se demander si cela valait vraiment la peine de dépenser tant d’argent et de mettre des hauts dignitaires à la tête des structures.

La troisième réalité des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de pays d’Afrique concerne la direction ou le pilotage des structures mises en place. En effet, de ce point de vue, force est de constater que ce sont leurs fidèles qui ont été nommés par les chefs d’Etat, à l’image du Premier ministre gabonais, M. Paul Biyoghé Mba, de M. Isidore Mvouba, ex-Premier ministre du Congo, de M. Oumar Hamadoun Dicko, ancien ministre du président Amadou Toumani Touré, pour le Mali, ou encore de M. Pierre Kipré, ancien ministre et ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, désormais plus présent sur les lieux festifs qu’à son boulot. Ces choix se justifient sans doute par le fait que la présidence d’une telle structure ne saurait être aux mains de n’importe qui, étant entendu qu’elle constitue un enjeu important, car elle assure à son titulaire une visibilité nationale, voire internationale, pendant de longs mois, ainsi que la mainmise sur un budget important, objet de tant de convoitises, comme cela a été souligné plus haut.

La quatrième réalité est qu’il a fallu « inventer », partout, des symboles spécifiques et « créer » des activités pour l’événement. Dans ce sens, un concours pour le logo du cinquantenaire a été lancé dans plusieurs pays, avec pour le gagnant, une récompense ou une dotation plus ou moins élevée selon les pays et suscitant des « vocations » : 1 million de F CFA (1500 euros) au Mali et au Burkina, 5 millions de francs CFA (7500 euros) au Cameroun, 18 millions de francs congolais (15000 euros) en RD Congo, etc. En Côte d’Ivoire, l’hymne du cinquantenaire (et quel hymne !) a fait l’objet d’un concours, pour un premier prix de 5 millions de francs CFA (7500 euros).

Toujours au niveau des symboles, les autres gadgets incontournables des célébrations du cinquantenaire demeurent les timbres, agendas, livres d’or, DVD, pins, casquettes, tee-shirts et surtout le pagne, comme lors de toutes les campagnes électorales, les funérailles ou les mariages. En Côte d’Ivoire, le pagne du cinquantenaire, vendu par exemple en Angleterre à 30 livres sterling (environ 25 000 F CFA) les 3 morceaux, a été révélé en pompe au grand public le 7 mars 2010, lors d’une cérémonie grandiose présidée par l’ambassadeur Pierre Kipré. Au Mali, les pagnes du cinquantenaire sont confectionnés par la Compagnie malienne des textiles (Comatex), détenue par un opérateur chinois, et qui commercialise des lots comprenant 100 pagnes à 525 euros, véritable aubaine pour les revendeurs. Quant aux tee-shirts, ils sont fabriqués en Chine par des opérateurs locaux, et revendus au prix de 2,25 euros à la Commission, qui en écoule à prix double ou triple, depuis début 2010, environ 5000 par mois auprès des associations et des groupes de jeunes.
En ce qui concerne les activités, notons par exemple que, avec une dotation globale de 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros), (c’est, dit-on, l’un des programmes les plus coûteux), on aura au menu, selon M. Pierre Kipré, « des tombolas, des concours régionaux de beauté et de danse, et des concerts, mais aussi des débats littéraires, politiques et économiques ».

Au Mali, selon M. Oumar Hamadoun Dicko, le programme comprend, outre un colloque international, des épreuves sportives, des publications consacrées à l’événement, un concert géant et un monument du cinquantenaire en forme de calebasse qui sera édifié sur le fleuve Niger entre les deux premiers ponts de Bamako et qu’on évalue à 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros), soit dix fois moins que le « Monument de la Renaissance Africaine », œuvre du président sénégalais, M. Abdoulaye Wade, inaugurée en grande pompe le 3 avril dernier à Dakar…
Ainsi donc, comme vous voyez, ce cinquantenaire nous coûte vraiment cher, du moins nous aura vraiment cher. Et ceux ou celles qui s’opposent ou contestent ces célébrations mettent en avant le fait que les sommes décaissées sont faramineuses et servent, on le voit bien tous les jours, à récompenser ou enrichir des amis ou des proches, à leur offrir des opportunités d’affaires, à séduire des électeurs potentiels, à mettre à nu nos irresponsabilités et nos immaturités en détournant ou en dilapidant les deniers publics à des fins inutiles, purement et simplement, même si, au-delà de ces festivités et de ces gadgets publicitaires, certains Etats ont prévu quelques investissements dans les infrastructures et dans les aménagements urbains.
Force est de reconnaître que ceux et celles qui s’opposent désapprouvent le fait que les manifestations grandioses passées ou à venir grèvent nos finances publiques, déjà très mal gérées, nul ne l’ignore... C’est ce que je pense, moi aussi. En tout cas, je suis entièrement d’accord avec ceux et celles qui accusent nos dirigeants et les populations africaines moutonnières « de n’avoir pas compris que l’année 2010 doit être vue et vécue comme le point de départ d’une nouvelle ère pour nous Africains, et que, cette année, l’opportunité nous est donnée de nous atteler à élaborer un projet sérieux de décolonisation et de développement, à induire avec intelligence les moyens de notre libération totale, à réviser tous les contrats léonins passés avec les pays occidentaux qui ont soin de penser et de décider en notre lieu et place… », etc. Je suis entièrement d’accord avec ceux et celles qui accusent nos dirigeants et les populations africaines suivistes de n’avoir pas compris qu’il nous faut, courageusement et opportunément, reposer le problème crucial de nos indépendances : des indépendances ankylosées par la misère et le déficit moral dans la gestion des affaires publiques ; des indépendances empestées par des génocides, des rebellions et autres conflits plus ou moins ouverts où des Africains n’ont ni honte, ni scrupule à se révéler les « pires ennemis de l’Afrique », à étaler leur barbarie et leur inconscience ; des indépendances confisquées par une armée étrangère sur nos territoires pourtant dits souverains ; des indépendances mises à mal par des assoiffés de pouvoir et autres gouvernants irresponsables aux pratiques d’arrière-garde ; des indépendances dévidées économiquement par une monnaie dont la maîtrise nous échappe , etc. »1…

En tout cas, avec ce que nous avons pu voir jusqu’ici, c’est à croire que le cinquantenaire, c’est, comme dirait Shakespeare « beaucoup de bruits pour rien ». Et aussi beaucoup d’argent pour du vent. C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri, Directeur de Publication

Publié dans la rubrique ce que je pense du Filament N°7



Défilé des troupes militaires africaines

Les dirigeants africains font honte et offensent la mémoire des valeureux Anciens Combattants.

Pour comprendre pourquoi les armées africaines ne devraient pas prendre part au défilé du 14 Juillet 2010, en France, il suffit de jeter un coup d’œil sur le résultat des recherches d’un journaliste de la BBC, consigné dans un document intitulé « Libération de Paris : les Alliés ont écarté les soldats noirs pour garder une image victorieuse blanche » (document en Anglais que nous traduirons et publierons dans nos prochaines parutions).
L’essentiel de l’information contenue dans ce document en anglais porte sur les nombreux actes de mépris posés par la France à l’ égard des valeureux soldats africains pendant et après la deuxième guerre européenne (dite mondiale). Ces actes de mépris devraient, au regard de ce document, motiver les dirigeants du continent africain à refuser de faire participer militairement l’Afrique à la parade des forces armées françaises, le 14 Juillet 2010, à Paris.
En effet, après avoir servi de boucliers humains et de soldats de première ligne de front sur les champs de bataille, et sauvé la France, les valeureux combattants africains des armées françaises sont, nous le savons tous, appelés « tirailleurs sénégalais ». Il suffit de pousser un tant soit peu plus loin la réflexion sur le terme TIRAILLEUR pour se rendre à l’évidence de la connotation péjorative et l’intention voilée de ceux qui ont initié ce mot.

En effet, TIRAILLEURS veut dire, en termes clairs, des individus dépourvus d’intelligence, de toute faculté intellectuelle et donc qui tirent n’importe où, sauf sur la cible indiquée. Autrement dit, TIRAILLEURS s’expliquerait donc par le fait qu’on présente une cible à quelqu’un et, comme il est un imbécile, il dirige plutôt son fusil AILLEURS c’est-à-dire dans tous les sens. Ceci est d’autant plus grave que ce qui n’est pas dit ici, c’est que les personnes concernées, notamment les combattants africains, étaient pour la plupart issues des zones rurales, enrôlées de force dans les armées françaises en perdition face à l’Allemagne. Ce qui revient à dire que, pour la majorité des enrôlés venus du continent, manipuler un fusil ou une arme à feu était pratiquement quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’inconnu. Et, malheureusement ces combattants africains n’avaient reçu aucune initiation au maniement de l’arme, ni aucun entraînement substantiel dans la manipulation de l’arme à feu avant leur départ au front, parce que la France, alors en déroute, était en quête de ressources humaines immédiate pour contrer l’avancée de l’ennemi allemand dans les zones de guerre. Quiconque, dites-moi, mis dans une telle situation n’aurait-il pas des difficultés à atteindre sa cible, fut-il Africain, Américain ou Européen ?...
L’autre caractéristique du cliché français vis-à-vis de ses bienfaiteurs africains réside dans l’emploi du qualificatif SENEGALAIS attribué à tous les soldats africains qui, on le sait très bien, étaient venus de pays divers et de tribus différentes.

A ce propos, il est bien de rappeler ici que, à l’époque des faits, la conférence de Berlin de 1884 (un autre sujet à débat) avait déjà découpé le continent noir en territoires d’occupation et que les pays sous oppression française étaient déjà considérés comme des pays nommément distincts les uns aux autres depuis l’Afrique centrale jusqu’à l’Afrique de l’Ouest. L’on comprend alors très mal pourquoi, de façon délibérée, les Français ont décidé d’appeler les combattants africains, bien qu’originaires d’horizons diverses, SENEGALAIS ?
Africains, réveillons-nous de notre long et lourd sommeil !

Adjé Kouakou,
Producteur et Présentateur de l’émission AMANIEN.
Voice of Africa Radio à Londres

Un article paru dans la rubrique amanien du Filament N°6



vendredi 23 juillet 2010

Crétins et fiers de l’être

Il était une fois un royaume… Ainsi commence le conte que je vais vous rapporter. Un conte pas comme celui du lièvre et de l’hyène. Un conte d’affliction et de pitié... Mais, une légende tragique... C’est mon arrière-grand-mère, Bobohi Dahirigbê qui me l’avait conté, cette histoire. Elle a vécu à cheval sur les 19e et 20e Siècles. Elle avait de la mémoire. Et pourtant, elle ne se rappelait plus comment les choses dans ce royaume avaient pu passer de l’endroit à l’envers. Peu importe ! Voici l’histoire.

Il était une fois un royaume où le roi et ses sujets, trouvant n’avoir plus que faire de la Raison, avaient rebaptisé leur pays « Blakorodougou » et les habitants les « Blakoros ». Sans doute par humour et parce que c’était désormais le règne et la gloire des cancres… Un changement extraordinaire qui modifia même les saisons. Eh oui ! Il tombait des cordes pendant la saison sèche et la canicule faisait rage quand arrivait la saison pluvieuse. Et, les Blakoros, plus ils étaient nus comme des vers de terre, mieux pensaient-ils être habillés. L’autorité parentale était détenue par les enfants. Les élèves battaient leurs maîtres, sans que ça n’émeuve personne. Et, bien pire encore, l’insouciance et l’indiscipline étaient la boussole qui orientait désormais l’attitude du peuple Blakoro.
Dans ce royaume-là, tout était mesuré à l'aune de l'argent : « Combien ça me rapporte ? », entendait-on souvent dire. Par ailleurs, à Blakorodougou, on ne pouvait plus se permettre d'être encore drôle. L’humour n’avait plus sa place dans cet effroyable quotidien. Le peuple Blakoro n’avait plus le droit de rire même quand tout paraissait dangereusement ridicule. Chaque jour, des évènements venaient les soustraire de leur bonne humeur. Des drames venaient leur rappeler qu’ils portaient tous le blanc du deuil de l’espérance pour leur cher royaume. Chaque jour, toutes les misères leur sautaient aux yeux et les prenaient à la gorge. Bien sûr qu’ils étaient pauvres. Une pauvreté économique qui poussait quelquefois à un optimisme (niais)... Parce qu’il leur suffisait simplement d’être un peu organisé, discipliné et rigoureux pour que tous, ils puissent jouir du partage équitable de leur richesse nationale. En seraient-ils capables un jour ? D’un autre côté, on reste fondamentalement pessimiste. Car, persuadé que leur misère est d’abord morale, intellectuelle et culturelle. N’avaient-ils pas réussi l’exploit de vider leur Culture de toutes ses valeurs, de toute sa beauté ?

En effet, les Blakoros en étaient arrivés à assimiler la Culture à toutes sortes de sous-valeurs et autres crétineries insensées. Comme ces perroqueries coupantes et décalantes » considérés à tort comme de l’Art, donc comme de la Culture. Des musiques frénétiquement débiles où s’exprimait une sous culture qui marquait leur royaume comme d’une lèpre de l’esprit.
Dans toute la contrée, on se souvenait encore de la grande loufoquerie qu’avait jouée M. Zimdaly, notable chargé de la culture. C’était lors des obsèques du jeune Gadou qu’on présentait comme le leader du groupe de bouffons qui peuplaient les bas-fonds de Blakorodougou. Les assourdissants coassements dans lesquels les bouffons s’étaient spécialisés, on ne sait pas encore pourquoi, étaient supportables à certains notables, et aussi à une frange de la jeunesse qu’on avait réussi à noyer dans la bêtise ambiante érigée en modèle de vie. Ce jour-là, M. Zimdaly avait dressé un arc de triomphe au pauvre « nullarond » qui venait de quitter les rivages de souffrances dans lesquels il s’était emmuré. Le notable s’était débattu, tel un beau diable dans un bénitier, pour pouvoir élever Gadou à la hauteur d’un mythe artistique en gestation. Il avait même osé hisser les logorrhées du mariolle au même niveau – Oh sacrilège ! – que la poésie de Blè Gblokoury et de Madou Dibèrô… On apprit, par la suite, qu’il y avait même un « junior » qui tentait le tout pour être la réplique dudit « nullarond ». Existe-t-il pire misère intérieure ? Ainsi voguait le royaume de Blakorodougou. Au rythme des brouillards paranoïaques de ses nouveaux Seigneurs.
M. Zimdaly, notable en charge de la culture, était, qui l’eût cru, un inculte. Ce qualificatif que le peuple Blakoro crut hyperbolique, s’étala sous leurs yeux médusés dans toute son étendue et dans toute sa profondeur. Tant M. Zimdaly s’évertuait, vaille que vaille, à démontrer l'ampleur du vide qui l’entourait. Comment ce peuple en était-il arrivé à être pris aux pièges de gens qui faisaient de l’ignorance une vertu ? Comment M. Zimdaly et les autres embrumés du cerveau avaient-ils pu en arriver là où ils étaient ? Parce qu’il fut un temps où ce royaume, par la qualité de sa Cour qui rejaillissait sur l’ensemble du peuple, attiraient les populations des royaumes voisins. En ce temps-là, leur richesse s’appuyait sur des savoirs. Le niveau culturel importait beaucoup… Mais, depuis la survenue de la crise, l’intelligence et la culture étaient devenues des handicaps honteux, qui se sont propagés à la façon des chiendents des potagers. Au point que le peuple Blakoro était devenu méfiant vis-à-vis de l’intelligence. A Blakorodougou, être cultivé n’était plus une qualité indispensable pour être notable…
Quelques années plus tard, on était allé chercher M. Blonyi dans son village à Danta pour l’affubler du titre de notable. Il n’en revenait pas, le pauvre berger. En tout cas, M. Blonyi dut abandonner ses vaches pour se retrouver à la Cour. Quant à M. Zimdaly, on le retrouva, aussitôt après, à la tête d’une obscure communauté religieuse où il s’autoproclama « 13e apôtre » de Jésus-Christ.

Le peuple Blakoro, qui en avait vu des vertes et des pas mûres, n’attendait pas grand-chose du nouveau notable chargé de la culture dont la principale qualité était de ne rien connaître à son nouveau travail. Les Blakoros (ceux qui résistaient encore au règne du crétinisme) ne furent donc nullement émus par un Blonyi qui avait du mal à utiliser des mots de plus d’une syllabe, qui alignait des phrases hallucinogènes où se bousculaient toutes sortes d’atrocités faites à la langue. Pour tout vous dire, l’inculture du nouveau notable lui allait comme un agaçant bonnet d'âne… Ignorant et, par-dessus tout, fier de l’être. Il était des nouveaux Seigneurs corrompus par une fausse culture et qui ne sentaient même pas le poids du drame qui les accablait, et qui se complaisaient dans l’étalage, sans vergogne et sans pudeur, de leur inculture, et qui la poussaient, l’ignominie, jusque dans les plus petits incidents de leur vie. Une ignominie dont ils se sont servis aussi, en cette période de crise profonde, comme arme politique. Ainsi, sous des prétextes aussi imbéciles les uns que les autres, des Blakoros furent privés de leur droit de s’instruire pour les empêcher de s’ouvrir aux autres et à eux-mêmes. Ils les maintinrent dans l’ignorance pour qu’ils soient plus vulnérables aux chants des sirènes. Afin de facilement les embarquer dans des aventures tragi-comiques qui ont marqué au fer rouge (et continuent encore de marquer) la vie au royaume de Blakorodougou.
Ah, l’ignominie ! Ce drame dont on ne sort pas facilement. Cette misère-là, on la traîne sur des générations. C’est elle qui fut la source de toutes ces conneries et de toutes ces horreurs. C’est elle qui ruina l’âme de certains d’entre eux… Des tricheurs impénitents. Ils trichaient pour être rois et notables. Ils trichaient pour réussir leurs examens. Ils trichaient même dans des plaisirs aussi personnels que le sexe... Oui, aussi incroyable que vrai, les Blakoro trichaient même dans des actes les plus insignifiants de la vie quotidienne.
On raconte que, un jour, M. Blonyi, le notable en charge à Blakorodougou, dans ses nouveaux habits de notable de la Cour, reçut des acteurs culturels du royaume. Ceux qui se battaient pour ramener le règne de l’Intelligence et du Savoir. Il y avait donc des danseurs, des chanteurs, des comédiens, des peintres, des écrivains… et bien sûr, des faiseurs de livre. Au moment de recevoir les faiseurs de livre, M. Blonyi tout à ses balbutiements leur lança sans sourire : « Moi, je ne peux pas lire un document de plus de trois pages. Ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un littéraire… » Han ! Stupéfaction générale de dégoût ! Il apparaissait aux yeux ébahis et aux oreilles naïves des faiseurs de livre, que le royaume de Blakorodougou venait enfin de se doter d’un vrai notable de l’acculture. Car, entre traire des vaches et lire un livre, il y a visiblement une grande distance. Mais, en quoi est-il difficile de lire ou d’apprendre à lire ? Ou plutôt qu’est-ce qui rendait cette tâche si difficile à bien d’autres et à M. Blonyi qui, qui plus est, est un notable.
Quand son souffle revint, le porte-parole des faiseurs de livres prit sur lui d’expliquer au pauvre Blonyi les avantages qu’il y avait à lire. Car, lui dit-il, « il y a des avantages à lire. On y gagne à lire. La lecture permet d’acquérir des connaissances, de comprendre et de se comprendre soi-même… La lecture permet de se restructurer et de se construire ou de se reconstruire. Ouvrir un livre, n’est pas simplement « consommer » un bien culturel anodin. C’est s’ouvrir à la durée et à la profondeur. Parce que le livre reste la porte d’entrée dans le monde des privilégiés. »
Je voudrais, pour ménager votre tension artérielle, vous épargner la fin de cette histoire triste et malheureuse. Une histoire où on proclame, sans sourciller, sa fierté d’être un crétin… Et c’est mille fois dommage pour le royaume de Blakorodougou et pour son peuple.

Serge Grah

Paru dans la rubrique le conte du mois du Filament N°6


L’homme d’argent est différent de l’homme riche.

La politique ne doit pas être réservée exclusivement à ceux-là qui seraient assis sur des coffres-forts; d’autant que l’homme d’argent est différent de l’homme riche. Si la vraie richesse matérielle est portée par l’idéal de solidarité et de fraternité, l’économie de marché ne peut être que souhaitable, d’autant plus qu’elle donne l’occasion, à l’homme, de présenter les meilleurs fruits de son esprit que le marché rend visible. Et c’est avec l’économie de marché que le partage devient effectif. Dans ces conditions, le coût des échanges doit seulement être regardé comme anecdotique, si l’intention des uns n’est pas d’asservir les autres, afin d’abuser d’eux.
L’homme d’argent ramasse rapidement, l’homme riche amasse lentement

La vraie richesse est appelée à durer dans le temps et à résister à l’épreuve du temps. Le contraire est à définir seulement comme une course à l’argent, comme un gain, comme du racket. Et, c’est justement pour cette raison que je dis toujours ceci: «l’homme d’argent qui amasse rapidement est différent de l’homme riche qui amasse lentement». L’homme d’argent tient un butin, l’homme riche détient un trésor. Celui qui court pour amasser rapidement ne permet rien à personne d’autre. Celui qui marche pour amasser lentement, laisse le temps aux autres de profiter, eux aussi, du temps et de l’espace économique. Voici ce que j’appellerais la vérité différentielle, celle qui fonde la bonne économie sociale et politique. Elle est fondamentale. Si le butin appartient à son pirate, le trésor appartient à l’humanité. C’est ce que les historiens de l’art ont compris avec raison et qui justifie le concept de « patrimoine de l’humanité » au sujet des œuvres architecturales et autres.
Entendu que ’il tient déjà un butin qui devrait en principe lui suffire, il ne faut jamais porter un homme d’argent au pouvoir. Vous n’arriverez pas à faire l’inventaire de son avoir parce que, en cas de contrôle, s’appuyant sur sa mauvaise foi, il risque de se moquer de vous, en arguant qu’il n’avait pas attendu le pouvoir pour vivre dans l’opulence. Or, si vous votez pour un homme qui vous ressemble et qui vit la même condition que vous, à la fin de son mandat, vous pouvez facilement évaluer les biens qu’il aura acquis avec votre concours. Et puis, il est plus logique de laisser un des vôtres défendre vos intérêts au lieu de fournir les armes de votre propre destruction à votre adversaire.
Le pauvre existe individuellement, certes, mais le riche n’existe pas.
L’homme d’argent est incontestablement votre adversaire parce qu’il vous pille. Et, on n’est pas forcément bon gouvernant parce que l’on dispose d’immenses coffres forts. Détrompez-vous ! Par ailleurs, l’opinion internationale n’est pas favorable à un pays parce qu’il est gouverné par un homme d’argent, mais plutôt pour ce que le pays vaut en lui-même, grâce au travail de tous ses habitants. La coopération internationale ne travaille pas avec des individus, mais avec des Etats, avec l’ensemble des citoyens qui produisent les richesses. Et, la richesse est effectivement un patrimoine commun à l’humanité. C’est bien pour cela que le pauvre existe individuellement, certes, mais que le riche n’existe pas. Si le riche n’existe pas, alors le pauvre ne devrait pas exister non plus, parce qu’on ne reconnaît que l’un par rapport à l’autre, pourrait-on se dire…
En réalité, le bâtisseur de trésor n’atteint son objectif qu’avec l’effort de toute la société. Prenons l’exemple d’un édifice en construction. Chaque matin, nous voyons à l’œuvre le maçon, le plombier, le menuisier, le balayeur, l’électricien ou le peintre. Et, le travail ne sera jamais achevé sans le concours des uns et des autres. Eh bien! De cette même manière, le trésor ne s’amasse qu’avec le concours de tous. Et dans le fonctionnement de l’entreprise, il faut que l’ouvrier accepte de se lever avant le petit jour pour aller à son poste, que la standardiste accepte de recueillir messages et commandes, que le comptable soit bien regardant sur les chiffres et que le veilleur de nuit accepte de garder les usines... De même, le pompier devra toujours se tenir prêt à intervenir dans les locaux de l’activité en question, les services fiscaux apportent continuellement leur concours en rappelant au ‘premier initiateur’ ses devoirs dont l’accomplissement lui permet d’avancer tout doucement, etc.
Les mérites de la société laborieuse
Ne devient riche que celui qui travaille et c’est la société qui devient riche, dans le cadre bien précis de l’enrichissement par le travail; avec à sa tête, un animateur de la vie économique que l’on appelle ‘patron’. Ici, ‘patron’ ne veut rien dire d’autre que premier initiateur de projets économiques. Mais, l’entreprise qu’il aura bâtie grâce à l’effort de la société appartient à la société.
Que rien n’appartienne particulièrement à l’homme
En réalité, rien n’appartient en propre à l’homme; pas même sa vie dont il ne saura jamais pourquoi elle se retrouve en lui. Autrement dit, il pourrait décider d’y mettre fin à tout instant, ce qui n’est souvent pas le cas. On me dira que l’homme a le choix du suicide. Non ! Car, le suicide n’est justement pas un choix, mais un acte de désespoir. C’est un acte qui s’impose à l’homme en deuxième lieu, après le choix de la vie, après l’appel à la vie. L’homme vit seulement la vie, mais il sait que celle-ci ne lui appartient pas. Si sa vie dont il pouvait légitimement se prévaloir ne lui appartient pas, je ne vois pas ce qui peut lui rester en propre. Le chef d’entreprise sait très bien qu’il n’est pas l’inventeur de la monnaie qui fait sa force, qu’il n’est pas le créateur des hommes qui produisent sa richesse, qui du jour et de la nuit rythment sa production; de l’espace physique sur lequel est implantée son unité de production et le fait de dépenser un sous pour l’acquérir ne change rien à cette vérité. Cela lui donne seulement un droit d’occupation ou de jouissance, mais il n’est en rien le propriétaire de tout ce qu’il découvre dans la nature à la naissance ou de tout ce qu’il ne peut emporter avec lui dans sa tombe. Voilà qui devrait donc adoucir les appétits de l’homme. S’agissant toujours de l’entrepreneur, s’il est juste de reconnaître son esprit d’entreprise, sa grande capacité à prendre des risques et sa volonté d’assurer la survie et l’avenir économique de son pays; s’il est utile de lui accorder la considération et l’honneur qui lui reviennent, il faut également insister en disant que rien ne lui appartient en propre: en réalité, tout revient à la société laborieuse.

Pour l’avènement d’une vraie justice distributive
Je veux donc dire que, dans ces conditions, tout gain doit être redistribué équitablement, dans la mesure du possible. Je suis pour cette politique de redistribution des biens sociaux. Et en Afrique, fils de paysans comme nous sommes tous pour l’instant, le peu que nous avons, doit être redistribué à tous, dans la dignité et la loyauté. Plus qu’une empoignade Gauche-Droite qui pourrait paraître nécessaire à certains parce qu’elle permet, peut-être, aux acteurs de la vie politique de mieux se positionner, il est davantage question de partage et de justice distributive : c’est ce qu’on appelle la justice sociale.

Tébi Joachim Ablé, philosophe, théoricien de la Palabre africaine.

NDLR : M. Tébi Joachim Ablé ne nous dit hélas ! pas si l’on peut être à la fois homme d’argent et homme riche. Comment et à quelles conditions ?


Paru dans la rubrique libre propos du Filament N°6

jeudi 22 juillet 2010

Eugénie Diécky

Diva de la radio africaine
Directrice des programmes d'Africa N°1


Aujourd'hui Directrice d'antenne d'Africa N°1 à Paris, animatrice-productrice de l’émission quotidienne «Les matins d’Eugénie », Eugénie Diécky mérite de figurer à notre Tableau d’Honneur, parce qu’elle est d’abord et avant une grande femme de culture et une grande diva de la radio qui, sait rendre aux médias leur aspect humain, qui anticipe l’Afrique, qui est à l’avant-garde d’une Afrique en devenir, qui parle sans langue de bois, ni tabou aux auditeurs de tous âges. Elle a, comme on dit, une vision pour l’Afrique Elle fondamentalement convaincue que et sait que « Chaque fois qu’il y a une injustice à l’égard d’un être humain, il faut la dénoncer et la combattre »... Elle est passionnée de livres. Non seulement pas une seule occasion de les présenter à toutes ses émissions, mais elle dévore deux ouvrages chaque semaine. A ce propos, elle affirme : « Le livre m’a construite, m’a grandie, m’a émerveillée ! D’ailleurs, lorsque je mourrai, je veux être enterrée avec des livres !... J’ai toujours été fascinée par le livre. Jeune, j’étais une boulimique de livres. Enfant du divorce, c’est le livre qui m’a permis de me construire en tant que personne et femme. Le livre m’ayant toujours accompagnée je voulais vendre des livres ou ouvrir une bibliothèque, ce qui m’a amenée à faire des études de documentaliste ».

En effet, c’est le livre qui est à l’origine et au centre de sa carrière, comme elle nous l’explique elle-même : « Le livre m’a beaucoup influencée. Il a marqué les débuts de ma carrière professionnelle, puisque c’est un concours littéraire qui m’a menée à la radio. Voici. J’étais étudiante en fin de 3è année quand un concours de poésie et de nouvelles a été lancé dans le quotidien L’Union (NDLR : quotidien gouvernemental gabonais). Je me suis jetée à l’eau et j’ai écrit « La borne fontaine » qui n’était pas une histoire d’amour, mais l’histoire d’une fontaine publique installée dans un village. Les habitants de ce village ont célébré cette pompe qui devait redonner vie à leur communauté. Mais, ils ne l’ont ni utilisée ni entretenue correctement. Certains sont tombés malades, d’autres sont morts en buvant de l’eau de cette fontaine. Partant, on a accusé les sorciers. Voilà, en quelque sorte, la trame de l’histoire. Mais, il y a aussi, bien entendu, l’histoire personnelle du héros, les histoires d’amour, le cas du chef du village qu’on a accusé de sorcellerie, etc. Et donc, j’ai participé à ce concours et j’ai gagné le prix de la meilleure nouvelle. Dès lors, un journaliste et un cinéaste m’ont contactée pour me proposer d’adapter mon roman à l’écran. Je lui ai donné le manuscrit dont il a apprécié l’histoire. Le film ne s’est finalement pas fait, mais cela m’a permis d’entrer, par la grande porte, à Africa N°1, d’autant plus que « La borne fontaine » a permis d’apprécier mon talent pour l’écriture et pour bien dire les choses ».

Par ailleurs, Eugénie Diécky entre à Africa N°1, parce qu’elle était toute avide d’aller vers les gens, de les rencontrer pour apprendre à les comprendre, parce qu’elle sentait que les Africains avaient le besoin et le droit de s’exprimer, et que, grâce à cette radio, Africa N°1, on pouvait faire beaucoup de choses intéressantes, aider les talents, les gens qui souffrent et soutenir des causes, comme celle des sans-papiers, etc. C’est convaincue de ces faits, qu’elle a très vite appris les ficelles et les rouages du métier de journaliste, et réussi à s’intégrer à la radio, ce qui n’était pas évident au départ. Elle raconte avoir eu beaucoup de chance dans sa vie, surtout à ses débuts.
Aujourd’hui, elle est Directrice des programmes. A ce poste, son rôle consiste à constituer une grille attractive, a proposer des émissions qui intéressent en priorité les Africains. Pas seulement la musique, mais aussi et surtout des émissions sur la littérature, la culture, l’histoire, des émissions de jeux, etc. « Il faut pouvoir faire en sorte qu’une belle idée couchée sur le papier puisse être rendue vivante avec la meilleure personne qui soit ».

En ce qui concerne Africa N°1, une grosse structure qui emploie plus de 200 personnes au Gabon et à travers l’Afrique, elle n’hésite pas à dire que c’est « un outil qui a accompagné des générations d’Africains du continent et de la diaspora, et qui constitue un lien très fort avec l’Afrique. Si n’y avait pas eu cette voix, ce tam-tam du continent, je me demande comment nos démocraties auraient véritablement pris racine. Elle a informé, diverti et fait rêver des millions d’Africains. L’Afrique s’est fait entendre par la voix d’un outil qui est né en plein cœur de l’Afrique. Et, il faut que cela continue ».
Au-delà de la radio, Eugénie Diécky a d’autres activités professionnelles : elle « coache », comme elle le dit, des leaders ou futurs leaders de la communauté africaine. Elle les aide à prendre leur place dans la communauté française ou africaine.
Notons pour terminer qu’en 2008, elle a été récompensée à la juste mesure de son talent et de son dynamisme par 3 prix dont elle est très fière : le prix de la Réussite au Féminin, le prix du Meilleur Défenseur des Droits de l’Homme et celui de Citoyenne d’Honneur de l’Hay les Roses pour son soutien à cette commune et à son maire, Patrick Sève qui a été le premier à soutenir Barack Obama.
Avec un tel profil, un parcours si honorable, de telles distinctions, il n’est aucun doute que Eugénie Diécky mérite, bel et bien, de figurer au tableau d’honneur, afin de contribuer à enlever, de la tête, de notre jeunesse, le doute et toutes sortes de complexes. Elle nous enseigne qu’on peut être noire, femme et réussir dans la vie, au même titre que les autres êtres humains. A ce propos, elle dit : « souvent, j’oublie que je suis une femme, même si j’ai un physique féminin. Pour moi, tout est dans la manière d’être et la manière de réagir … Je ne me vois pas comme une femme, mais comme quelqu’un aimant son boulot, et le faisant du mieux possible ».

Léandre Sahiri

Un article paru dans la rubrique Tableau d'Honneur du Filament N°6



A qui profite la rébellion africaine ?

Il y a quelques semaines, une des lectrices du Filament, Mme Emilie K., pour ne pas la nommer, m’a adressé une lettre, personnellement, pour me demander de donner un résumé et un commentaire du livre « Pourquoi je suis devenu un rebelle », écrit et publié, en 2004, par M. Guillaume Soro, Premier ministre ivoirien. Mme Emilie K. m’a aussi demandé de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce qu’un rebelle ? Pourquoi et comment la rébellion est née en Afrique ? A qui profite la rébellion africaine? Qu’est-ce que la rébellion apporte à l’Afrique ?...
Au-delà de ma modeste personne, c’est, à ce que je pense, à nous tous et toutes, que Mme Emilie K. demande de réfléchir, très sérieusement, sur la rébellion et de tirer des leçons des rebellions africaines, comme hier on en a tiré des guérillas sud-américaines. En attendant que des personnes bien outillées puissent apporter des réponses plus édifiantes aux questions que pose Mme Emilie K, je me vais m’atteler à dire, ici, ce que je pense, étant donné, n’est-ce pas, que Mme Emilie K. m’a interpellé personnellement.
Du livre de Soro Guillaume
D’abord, en ce qui concerne le livre « Pourquoi je suis devenu un rebelle », je dois d’emblée avouer que, connaissant plus ou moins les raisons de la rébellion ivoirienne, à travers les diverses déclarations des rebelles eux-mêmes, les reportages, et les dossiers de presse, je ne me suis sincèrement pas intéressé à le lire. Certes à tort, je le reconnais. A preuve, je ne puis actuellement pas en proposer un commentaire.
Mais, j’ai changé d’avis. Depuis quelques jours, j’ai passé la commande du livre et crois pouvoir le lire et être à même d’en parler dans l’une de nos prochaines parutions. Ceci dit, venons-en à l’autre volet de la lettre de Mme Emilie K., notamment les questions.

Qu’est-ce qu’un rebelle ?
Une rébellion est un mouvement de contestation ou de remise en cause des autorités en place, ainsi que de refus, voire de négation de l’ordre institutionnel établi. Tel est le principe de base de toute rébellion. Généralement, la rébellion a une base locale et une sphère de rayonnement régionale. En effet, elle naît toujours dans une région ou part communément d’une région donnée du territoire national et s’y cantonne. Pour justifier leur action ou leur mouvement, les rebelles mettent en avant la mauvaise répartition des richesses nationales, les disparités ou inégalités socio-économique de l’espace national, tout cela brandi comme une injustice flagrante plus jamais insupportable, et comme des motifs de frustrations longtemps contenues, et dont il faut immédiatement se départir.
Voilà ce qui, en principe et au-delà des motivations individuelles des leaders, sert de motifs fondateurs, d’alibi ou de justification sociale, politique, morale, psychologique ou intellectuelle à toute rébellion. Sur cette base, on s’attendrait a ce que les rebelles s’engagent dans des activités, des ouvrages ou des actions pratiques pour développer la région concernée. Mais non ! En lieu et place de tout cela, c'est-à-dire d’un mouvement « pacifique » de revendication régionale pour réparer les inégalités et les frustrations décriées, les rebelles défient les autorités et s’arment, sans doute pour conférer plus d’efficacité à leur action. Leur mouvement devient, alors, politique et surtout militaire, autrement dit, de violence. On en arrive alors, à une lutte armée. Ainsi, la stratégie, les méthodes et les buts changent, du tout au tout, et cela devient une autre histoire. En effet, ce qui, au départ, n’était qu’une soi-disant expression de révolte locale et régionale, dégénère et devient un conflit national violent, comme on en a vu au Liberia, en Sierre Leone, en Côte d’Ivoire, etc.

Les rébellions ont la même logique
Les rébellions connaissent, toutes ou presque toutes, la même logique : mouvement régional uni, et enthousiaste au départ, une rébellion le demeure rarement jusqu’à sa fin ultime. Tout le monde sait qu’une rébellion prend fin, soit par la satisfaction entière et totale de ses revendications, soit par une victoire militaire nette, soit par la prise du pouvoir d’Etat, soit par une défaite militaire, soit par sa récupération par le pouvoir et l’ordre en place, soit par la dispersion de ses leaders et dirigeants dont la plupart sont contraints à l’exil ou réduits à la clandestinité intérieure…
On peut alors se demander : d’où vient-il que la rébellion, qui, au départ, était un mouvement uni, en vient-elle à se trouver divisée et fatalement affaiblie? La réponse est toute simple. C’est que, chemin faisant, des divergences et des divisions internes apparaissent entre les responsables du mouvement rebelle. Ces divergences qui, généralement, opposent les leaders et principaux dirigeants de la rébellion entre eux et les uns aux autres, sont basées sur des querelles de personnes ou sur des conflits d’intérêts égoïstes essentiellement matériels, financiers et sociaux, et ont un rapport direct avec le niveau d’instruction et de conscience des rebelles dont 95% sont des analphabètes ou demi-lettrés. Ces divergences apparaissent dès lors que les objectifs premiers du mouvement (de contestation du départ) se trouvent altérés et rejetés en arrière-plan, chacun agissant désormais, au sein de la rébellion, pour son propre compte et celui de son clan. La vision angélique et l’action unitaire du départ ayant fait place aux soupçons, à la suspicion et aux règlements de compte, eu égard aux spasmes ou fibres ethniques, aux positions sociales privilégiées acquises rapidement par certains chefs rebelles, positions qui les placent, de fait, aux postes d’honneur, souvent avec tapis rouge déplié sous leurs pieds, avec des voyages nombreux, officiels et officieux à l’étranger en première classe, des séjours dans les hôtels huppés avec suites, etc. Ces prérogatives ou privilèges finissent par convaincre les chefs rebelles que, si au sein du mouvement contestataire, on est toujours ensemble, en tout cas on n’est plus désormais les mêmes. Ainsi, même si les rebelles se parlent et se saluent encore, ce n’est désormais plus avec enthousiasme ou ferveur, etc. De ces faits, c’est à se demander à qui profite, en réalité, la rébellion ? Nous y reviendrons plus loin. Pour l’heure, intéressons-nous aux cas singuliers de Jonas Savimbi et de Soro Guillaume.

Du cas exemplaire de Jonas Savimbi
Comme tout le monde le sait, c’est le 22 février 2002 que, à quelques six mois de son 68ème anniversaire, que M. Jonas Malheiro Savimbi, l’un des plus vieux rebelles d’Afrique, le chef de l’Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA, fondée le 13 mars 1966) est tombé au front, les armes à la main. En effet, c’est sur les bords de la rivière Luvuei, dans la province de Moxico, au sud-est de l’Angola, non loin de la frontière zambienne, que le vieux chef rebelle a livré sa dernière bataille. Surpris par l’armée gouvernementale, il a été abattu, non sans s’être défendu.
Quinze balles logées dans son corps. Montré le lendemain à la télévision angolaise, son corps gisait sans vie, baignait dans son propre sang, son sang à lui Jonas Savimbi. Toutefois, il avait le visage serein et intact, les yeux mi-clos. II a fini comme finissent tous les rebelles de son espèce, Samuel Doe, Fodé Sankoh, Ousmane Mané, Joseph Kabila..., qui, eux aussi, avaient défiguré leurs pays respectifs, par des guerres, par des violences, par des tueries sans nom...
L’Histoire retient que le leader de l’UNITA, M. Jonas Savimbi, avait résisté très longtemps, depuis 1962, au temps du FNLA (Front National de Libération de l’Angola, présidé par Holden Roberto). Pour lui, céder au MPLA aurait signifié l’humiliation suprême. Certes, Savimbi était à la fois un chef charismatique, un stratège, un nationaliste intransigeant. Avec un parcours exceptionnel, où le revers l’a, finalement, emporté sur le succès. Obstiné par une volonté farouche d’aller, tête baissée, jusqu’au bout de ses convictions, il reste, en définitive, un rebelle jusqu’au bout, du moins jusqu’à la mort. Tel est le sort de tout rebelle, c'est-à-dire de tout individu qui prétend rétablir ses concitoyens dans leurs droits, et qui ôte à ceux-ci le premier des droits humains, à savoir, le droit à la vie. Telle est la leçon que devront retenir ceux qui, commandités ou commis pour tuer M. Laurent Gbagbo et prendre le pouvoir sans passer par la voie des urnes, ont hélas ! défiguré la Côte d’Ivoire et nous ont mis dans la ténébreuse et ignominieuse situation où nous nous trouvons depuis plus de 8 ans.


Ma « Lettre ouverte à Monsieur Guillaume Soro ».
En 2002, je me trouvais à Abidjan, en tant que professeur de Lettres à l’université de Cocody et intervenant à l’ENA, quand la guerre a éclaté en Côte d’Ivoire. En 2004, quand, j’ai appris que M. Soro Guillaume, chef des rebelles, fut de nos élèves au lycée de Korhogo, j’ai décidé, sans doute par déformation professionnelle, de lui adresser une Lettre ouverte pour lui dire ce que je pense et pour l’amener à bien situer sa responsabilité dans cette rébellion dont il se gargarisait, par des déclarations ronflantes et tonitruantes. Pour votre respect, je me permets de reproduire ici, ma « Lettre ouverte à Monsieur Guillaume Soro », qui semble être passée inaperçue, à l’époque, et dont Mme Emilie K. me donne l’opportunité de reparler. La voici, cette lettre ouverte :

« Monsieur Guillaume Soro,
Je vous envoie cette lettre en espérant qu’elle vous parviendra, que vous la lirez jusqu’au bout et que vous m’en donnerez réponse et avis.
Tout d’abord, je voudrais vous poser cette question : M. Soro Guillaume, d'où tirez-vous votre légitimité pour prétendre nous imposer votre volonté et vos caprices de cow-boys des films westerns d'antan, lesquels cow-boys, hors-la-loi et sans civisme ni éducation, défient le Sheriff du district et imposent leur loi, par la force de leurs pistolets ? Sachez, M. Soro Guillaume, que cette époque est révolue. Les temps modernes nous commandent d'utiliser, de nos jours, même dans le Far West, la voie des urnes pour accéder au pouvoir, pour pouvoir marcher sur des tapis rouges et pour pouvoir prétendre diriger les hommes en vue, (tenez-vous bien !), de contribuer à favoriser leur bien-être et le progrès de l'humanité.
A votre avis, depuis que vous êtes rebelle, M. Soro Guillaume, qu'est-ce que la Côte d'Ivoire a gagné ? Qu’est-ce que les gens du Nord ont gagné ? Qu'est-ce que vous avez ajouté à l'humanité ? Quelle image représentez-vous pour le présent et le futur dans l'histoire ? Quelle leçon la jeunesse peut-elle tirer de vos actes?...
Alors que les autres peuples sont dans des laboratoires et dans les usines pour fabriquer des ordinateurs, des médicaments, des avions, des machines, des appareils…, pour notre aisance et notre santé, vous et vos amis en armes (rebelles et ex-rebelles), ainsi que vos alliés (connus et inconnus ou méconnus), n'avez aucune honte, aucun regret, ni remords, de tuer nos parents et nos amis.

Vous n’éprouvez aucune gêne, ni aucun dégoût à voir notre pays dans cet état lamentable, à vous faire payer sans travailler, à piller et à faire piller les ressources de notre pays ; vous êtes fiers de narguer nos autorités et nos élus, fiers de fouler aux pieds nos lois, nos institutions et notre Constitution, comme des gens sans éducation ni morale. Vous vous en enorgueillissez de nous imposer les chefs que vous, vous voulez sans même notre avis, sans notre accord, et sans élection, etc. Mais, on est où là ? Vous n'avez pas honte de publier des livres et de faire des déclarations et des tapages sur vos tueries et vos desseins diaboliques qui relèvent de la pure délinquance. Avez-vous jamais compris que vous vous êtes ainsi déclaré à la face du
monde, par vous-même, délinquant de première catégorie et assassin en liberté ? Les preuves sont là, palpables, par vous-même fournies, dans votre livre qui se résume en ceci : Je suis un rebelle et voici ce que j’ai fait et commis comme actes. Ce que les Ivoiriens ont subi, ce n’est ni un conte de fée, ni une rumeur… Oui ! M. Soro Guillaume, vous avez osé écrire cela ! C’est à se demander si l’on ne manque pas parfois de bon sens et d'« esprit des lois » (Montesquieu)?
M. Soro Guillaume, vous qui, à ce que je crois savoir, avez fait des études universitaires, devriez avoir honte d'agir comme vous faites. Arrêtez de vous comporter comme un cow-boy ou un dozo (chasseur analphabète initié dans le maniement de fusil traditionnel). Arrêtez ça, ici et maintenant. Aucun rebelle n’a, il faut le savoir, longue vie. Et donc, vous êtes en train d'écourter, de miner votre espérance de vie, comme les Savimbi, John Garrang, Fodé Sankoh et autres rebelles qui croyaient que la nuit était si longue qu'il ne ferait pas jour. Et puis, vous savez, on connaît le sort des cow-boys dans les westerns : le film finit quand finit la vie du cow-boy, parce que toute chose a une fin.
M. Soro Guillaume, ceux qui vous financent, ceux qui vous poussent et vous encouragent à cet orgueil insensé, à ces fanfaronnades, à ces débilités, ne vous aiment pas du tout et sont vos ennemis premiers. Ceux qui vous suivent savent ce qu'ils y gagnent et se foutent éperdument de ce que vous y perdez. Ils ne vous ont pas conseillé la bonne voie, parce que vous êtes dans l'impasse. Et, je suis à me demander comment vous allez pouvoir vous en tirer, je veux dire, de ce sale drap. Zut ! Il vous faut revenir à la raison! Mais, cela exige, d'abord et avant tout, de mettre bas votre orgueil déraisonné et sans fondement ; cela vous impose d'arrêter de prendre des vessies pour des lanternes. Si, bien entendu, vous tenez encore à la vie qui vous tend les bras et qui vous a tant donné afin que vous soyez utile à l'humanité, et non pour détruire des vies humaines, non pour servir, sans vergogne ni envergure, des intérêts égoïstes, partisans, ethnocentriques, mesquins, utopiques, sataniques...
Il n'est jamais trop tard, dit-on, et seul le repentir est votre unique voie de salut, quelque soit ce qu'il vous en coûtera. C’est ce que je pense. Du moins, tel est mon sentiment. Avec mes salutations distinguées et sans rancune ».

Je précise que je n’ai pas eu de réponse à cette lettre. Peu importe ! L’essentiel est que, aujourd’hui, M. Soro Guillaume est premier ministre, dans la république. Je pense qu’il m’a entendu. C’est un motif de satisfaction qui m’amène à répondre, pour terminer, à la question : à qui profite la rébellion ?

A qui profite la rébellion ?
On constate, en se référant à la rébellion ivoirienne, que trop de sang a coulé à Korhogo et Bouaké, à Abidjan, à Man, à Gagnoa…, partout, dans toute la Côte d’Ivoire, plus que jamais auparavant. Du sang des Ivoiriens comme des étrangers. Du sang des forces de l’ordre et des populations civiles comme des rebelles. « Nous avons eu plus de morts entre rebelles qu’entre nous et les Forces loyalistes », avait déclaré sur Rfi, M. Séhi Claude, chargé de communication d’IB à Paris. Ces pertes importantes de vies humaines ont endeuillé la Côte d’Ivoire et suscité partout animosité, rancœur, indignation, colère et désirs de vengeance... Telles les réalités et les résultats de la rébellion ivoirienne.

On constate également que la rébellion ivoirienne n’a pas atteint son objectif qui était de prendre le pouvoir d’Etat. Loin de là. Aujourd’hui, M. Soro Guillaume est siège dans le gouvernement de Laurent Gbagbo. M. Soro Guillaume est premier ministre. M. Soro Guillaume mange à la même table que M. Laurent Gbagbo que, poussé ses mandataires et mû par des forces sataniques, il prétendait assassiner, ou tout au moins chasser du pouvoir pour accéder (lui ou un de ses commanditaires) à la magistrature suprême de notre pays. M. Soro Guillaume a abandonné le sentier battu de la violence sauvage, ignoble et inutile. En a-t-il tiré des leçons, de sa rébellion ? S’est-il assagi ? A-t-il compris que les rebellions africaines rabaissent les Africains au rang d’animaux sauvages et de barbares des temps anciens ? Sait-il désormais que les rebellions africaines réduisent l’Afrique à l’état de jungle ou de champ de bataille permanent, comme du temps des Gaulois ou des vikings ? A-t-il compris que les rebellions africaines ont pour victimes les populations africaines, c'est-à-dire des femmes, des hommes, des enfants qui ne demandaient qu’à vivre et que, prétendant les rétablir dans la justice ou dans leurs droits, on éventre, on viole, on pille, on déshérite, on égorge, on assassine, on mutile, on chasse de leurs terroirs, on prive de leurs biens acquis durement et âprement ? A-t-il compris que ceux qui fabriquent les armes, nous les vendent ou nous arment ne sont pas responsables de l’utilisation que nous en faisons ? A-t-il compris que, par les rebellions, les Africains se révèlent les pires ennemis de l’Afrique ?... Par exemple, on sait que les conflits en RDC sont, en grande partie, liés à l'exploitation et au commerce du coltan. Le commerce du coltan aurait procuré aux rebelles et chefs militaires et à des civils rwandais et ougandais des ressources financières énormes et encourage la poursuite du conflit. Les alliés zimbabwéens, angolais et namibiens du gouvernement de Kinshasa sont aussi accusés d'avoir systématiquement pillé les ressources du Congo avec la collaboration de lobbies internationaux et de grandes compagnies aériennes qui arment les rebellions. Dans les circuits économiques, le commerce du coltan a été qualifié de «nerf de la rebellion», dans l'est du Congo. Des intrigues compliquées, qui stimulent l'action d’alerte des ONG. Il en va du coltan comme du diamant et de la RDC comme de la Côte d'Ivoire, ainsi que de tous les pays qui ont connu la rébellion. Tout cela, M. Soro Guillaume, M. Sidiki Konate et les autres membres des Forces Nouvelles (ex-rebelles), je pense, l’ont compris. Et, c’est ça l’essentiel. Ils savent, et nous savons, à qui profite les rebellions africaines. Certes pas aux Africains. C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri, Directeur de Publication

Un article paru dans la rubrique ce que je pense du Filament N°6

lundi 19 juillet 2010

Édito du 15 juillet 2010

De nombreux témoignages nous parviennent pour nous féliciter, parce que Le Filament porte bien son nom, en tant que fil conducteur de lumière, et parce que la liberté et l’indépendance que nous revendiquons, la courtoisie que nous préconisons, sont effectives. C’est un luxe, étant donné que, dans le paysage médiatique, la plupart des journaux sont, soit les clochers ou les porte-voix des partis et leaders politiques, soit à la solde des pouvoirs d’argent.

Autre luxe : la gratuité. Là-dessus, nous nous sommes largement et suffisamment expliqués, dans notre éditorial de la précédente parution (Le Filament No 5).

Le troisième luxe concerne la périodicité. Nous avons opté pour une parution mensuelle. Considérant que les événements s’enchaînent, se succèdent, inéluctablement, à un rythme effréné, et vu que ce qui est vrai aujourd’hui peut être faux le lendemain, cette marge temporelle d’un mois paraît, à certains, inadéquate, trop longue. En effet ! Mais, en ce qui nous concerne, c’est un délai tout à fait raisonnable et bien réfléchi, dans la mesure où cela laisse le temps, d’une part à vous, pour lire et pour écrire vos textes et contributions ; et d’autre part à nous, pour effectuer nos recherches, nos investigations, nos analyses, la documentation, la rédaction et la mise en forme des textes. Et, puis, n’est-ce pas que cette marge nous évite de survoler l’actualité et nous autorise à cibler les sujets qui vous intéressent effectivement, à les aborder, en profondeur, souvent sous forme de dossiers, comme ceux de l’éducation, du cinquantenaire, de l’économie, etc.

Encore une fois, merci, pour votre accueil cordial et vos compliments. Nous serons encore plus comblés de voir que de plus en plus de jeunes de tous âges connaissent et lisent régulièrement Le Filament.

En vous souhaitant bonne lecture, nous vous renouvelons notre gratitude, à vous tous et toutes, pour votre aide, votre soutien et vos contributions, sous quelque forme que ce soit, vous qui nous aidez volontiers à diffuser largement Le Filament. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous adressons un remerciement particulier à M. Michel Zahibo qui imprime Le Filament, a plus de 50 exemplaires, à ses propres frais, pour le distribuer gratuitement aux personnes qui n’ont pas accès à l’Internet. Notre plus grand souhait est que cela fasse tache d’huile ou boule de neige. En tout cas, continuons, encore et encore, à offrir gratuitement Le Filament, à nos amis, à nos parents, à nos connaissances, par tous les moyens, notamment par email, par fax, par photocopie, par courrier postal, etc. A très bientôt.

Léandre Sahiri, Directeur de Publication.

samedi 17 juillet 2010

Côte d'ivoire : FPI, tragédie d'un parti qui incarnait l'espoir

On a parfois besoin de vivre les faits pour y croire. Ou encore, la vie quotidienne, comme qui dirait, se révèle souvent la meilleure des écoles, voire le meilleur apprentissage. Sans cette expérience, on croit bien souvent que ce que certains disent ou racontent autour de nous n’est que du pur idéalisme ou simple utopie ou encore des fantasmes. Descendons sur terre et disons les choses plus simplement pour nous faire mieux comprendre ; n’est-ce pas là l’une de nos nombreuses missions à travers « Le Filament » ?

Ce qui se passe aujourd’hui en Côte d’Ivoire et tout précisément au sein du parti du Président Laurent Gbagbo, nous oblige à parler, sans tabou, du futur du FPI et de la Côte d’Ivoire après l’ère Gbagbo et surtout à revenir quelques années en arrière pour réviser les leçons de philosophie pure, de philosophie politique, de science politique et même de droit que nous buvions, avec volupté, et sans penser que, un jour, nous serions des témoins et acteurs de ce que nos différents maîtres ( que, au passage, nous saluons de nous avoir ouvert les yeux et les oreilles) tentaient, contre vents et marrées, de nous faire comprendre.

Il est très important de rappeler que le Front Populaire Ivoirien (FPI) est né d’une révolte contre les pratiques politiciennes du temps du parti unique ; des pratiques socialement et économiquement dégradantes et inhumaines de l’ancien régime, le PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire) dirigé alors par le « bélier » de Yamoussoukro, M Félix Houphouët-Boigny. Le FPI est né aussi de la volonté et dans le but de « gouverner autrement la Côte d’Ivoire » (Lire à ce sujet « Propositions pour gouverner la Côte d’Ivoire» de Laurent Gbagbo). Et donc « gouverner autrement la Côte d’Ivoire », tel est le slogan qui, comme le « Yes we can » de Barack Obama, a conduit le peuple ivoirien à prendre le risque de porter M. Laurent Gbagbo au pouvoir, en acceptant ou en faisant les sacrifices exigés, allant de la perte du gagne-pain jusqu'à la perte de la vie (Kpéa Domain, par exemple). Tout le monde le sait, des foyers ont été disloqués ; des légions remplies d’espérance ont été brisées, des ressortissants de certaines régions du pays ont été frappés d’ostracisme, purement et durement, de la part des dirigeants du PDCI ; et ce, parce qu’ils avaient épousé les idéaux véhiculés ouvertement par le discours nouveau ou inédit de Laurent Gbagbo et ses camarades.

En effet, Monsieur Laurent Gbagbo promettait de changer, radicalement et positivement, la condition de vie des Ivoiriens et des Africains. A ce propos, il disait : « J’ai les hommes et les femmes pour gouverner la Côte d’Ivoire autrement » ou encore « Je mets les pieds là où je connais », autrement dit, je viens en homme d’expérience, j’ai un programme pour gouverner, contrairement à mes prédécesseurs, etc. Nous ne croyons pas qu’il ait une seule fois dit qu’il venait au pouvoir pour empirer la situation des Ivoiriens. C’est pourquoi au vu de la situation exécrable, déliquescente et nauséabonde qui prévaut aujourd’hui au sein du FPI, et partant en Côte d’Ivoire, nous ne pensons pas que M. Laurent Gbagbo devrait être, n’en déplaisent à certains, épargné de nos critiques. Il est le chef du village, il est donc entièrement responsable, comme l’étaient hier M. Houphouët-Boigny et M. Konan Bédié, de l’ivresse et de la folie devenues quotidiennetés de la part de ces hommes et de ces femmes en qui il a placé sa confiance. N’est-ce pas lui qui répétait que, pour guérir une plaie, il faut percer l’abcès ? Alors pourquoi s’émouvoir lorsque son nom apparaît dans une quelconque analyse ou une critique ? Simplement, arrêtons de donner raison à Senghor qui avait du mal à supporter la couleur de sa peau et qui, sans conscience, disait : « La raison est hellène et l’émotion est nègre ». Dépassons le culte de la personne, battons-nous pour la dignité du Noir, et de l’Africain en particulier. Que les « Gbagboïstes » voient plus loin que le bout de leur nez et qu’ils placent la Côte d’Ivoire au centre ou au-devant de leur vision politique.

Aujourd’hui, lorsque nous jetons un regard froid sur la situation qui prévaut au sein du FPI et sur celle de toute la nation ivoirienne, nous sommes obligés de conclure, sans ambages, que le train des rêves sur lequel des millions d’Ivoiriens ont embarqué, s’est transformé en un minuscule wagon de cauchemars, voire en un coma politique et socio-économique. Au FPI, de l’idéalisme socialiste prometteur, l’on est tombé dans un « matérialisme » vagabondant, nauséabond , du moins dans une aristocratie éhontée qui écrase l’Ivoirien, qui conforte la pauvreté et la misère, au point de contraindre les autres Ivoiriens à vivoter ou à se prostituer dans les écoles, sur les lieux de travail, voire dans les toilettes des immeubles aux murs verdâtres et lézardés d’Abidjan et d’ailleurs.
C’est vrai que la France fasciste continue de livrer une guerre farouche d’intérêts à la Côte d’Ivoire, depuis que Laurent Gbagbo a décidé de « gouverner autrement ». Mais, nous disons : assez ! « La guerre de la France contre la Côte d’Ivoire », pour parler comme le Président de l’Assemblée nationale, le professeur Mamadou Koulibaly, ne doit pas cacher la gangrène dans laquelle la nation ivoirienne est plongée, purement et simplement par les agissements des hommes et des femmes du FPI. Leur attitude renvoie à l’idée, du moins porte à convaincre qu’ils sont venus au pouvoir pour voler, pour piller, pour détourner les deniers publics, pour se bâtir des châteaux, pour faire de leurs enfants les seuls méritants du pays et les seuls aptes à faire de bonnes études, et ce, dans les écoles et institutions les plus prestigieuses et non moins coûteuses dans les pays occidentaux.

Pour conclure cette première partie, nous disons que la Côte d’Ivoire est très riche et que sa modeste superficie ne constitue pas un obstacle pour son développement, ni pour le bien-être des Ivoiriens. Le seul problème ou l’un des obstacles est la course effrénée et illégale vers l’enrichissement rapide qui fait fi de toute loi morale et de toute logique, qui nous éloigne des promesses d’hier, qui nous pousse au désespoir, plutôt qu’à l’espoir. (A suivre)

Sylvain de Bogou, Directeur de la Rédaction, Le Filament. sylvaindebogou@yahoo.com

Un article paru dans la rubrique Actualité oblige du Filament N°6
 

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