mardi 27 juillet 2010

Des budgets colossaux du cinquantenaire

Beaucoup d’argent et beaucoup de bruits pour rien
Dans un article publié dans le numéro hors-série 24 de Jeune Afrique de mai 2010, M. Mahamadou Camara révèle « les budgets annoncés en 2010 pour les célébrations du cinquantenaire de l’indépendance des pays d’Afrique: 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) en Côte d’Ivoire, 17 milliards de F CFA (26 millions d’euros) au Congo, 14 milliards de F CFA (21,3 millions d’euros) au Cameroun... Etalées sur trois jours, les festivités du cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal ont coûté aux contribuables sénégalais environ 1,5 milliard de F CFA pour l’organisation du défilé et les réceptions données en l’honneur de la vingtaine de chefs d’Etat présents».
Au vu de ces chiffres, le moins que l’on puisse penser, c’est que ces budgets « pour faire la fête » sont, comme l’a écrit M. Mahamadou Camara dans son article, des « montants pharaoniques », eu égard aux objectifs et au regard du niveau de vie dans ces pays et du piteux état dans lequel se trouvent leurs services publics.

De ce fait, la première question qui me vient à l’esprit, et que vous vous posez sans doute, est la suivante : d’où vient cet argent ? ... M. Mahamadou Camara n’en dit rien, et pourtant, il est important de savoir ou on a pris cet et s’il ne vient pas, ainsi, sans conscience, alourdir encore plus les dettes de ces pays. Il est également important de savoir pourquoi ces sommes, si elles émanent des budgets nationaux, n’ont jusque-là pas été utilisées pour les besoins, prioritairement, en santé, en éducation, en lutte contre l’insalubrité, en création d’emplois…, pour les populations locales ? Parce que les besoins et les priorités, ce n’est pas ce qui manque chez nous, n’est-ce pas ?...
Dans tous ces pays où l’on manque parfois du minimum vital, où le chômage des jeunes, diplômés, qualifiés ou non, demeure une épidémie, entre autres maux, où 80% des populations vivent sous le seuil de pauvreté, peinent à s'assurer un repas convenable par jour, à se soigner convenablement, à bénéficier des conditions adéquates d’études et de promotion, ces sommes-là, ont aussitôt fait l’objet de toutes les convoitises, allant jusqu'à faire germer des « idées » dans la tête de nombre de personnes, donnant lieu à un gigantesque business. En effet, de nombreux hommes d’affaires dont, au premier rang, les agences de communication et les sociétés d’événementiel, ont ainsi rapidement contracté des partenariats avec les comités d’organisation et ont proposé leurs services pour médiatiser les activités liées à cet anniversaire que l’on veut, coûte que coûte, prestigieux, « mémorable ».

Dans tous ces pays, ces sommes, comme le souligne M. Mahamadou Camara, ressemblent davantage à des gâteaux. Ainsi, « chacun y est allé de son initiative ou de son projet pour croquer (extorquer ou escroquer) une part de ces gâteaux à cinquante bougies ». On a vu et on voit alors les commissions, les sous-commissions et les comités d’organisation, rivaliser de projets et de programmes, s’entre-déchirer pour gérer ces budgets, pour médiatiser et fêter en pompe, exhiber des factures et des devis si élevés qu’on se demande parfois où en est le sérieux. On parle même de détournements de fonds et de manifestations fantoches, impliquant, plus ou moins, la complicité ou la participation de certains intellectuels, artistes et politiques…

Une autre réalité de ces cinquantenaires, toujours selon M. Mahamadou Camara, concerne les premiers responsables des structures mises en place. D’abord, il faut noter que, même si certaines commissions sont des structures indépendantes, comme en Côte d’Ivoire, la plupart sont intégrées au sein du ministère de la Culture, comme au Cameroun, ou au Burkina… C’est doute pour faire croire que ces pays ont choisi de mettre l’accent sur la promotion de leur histoire et de leurs atouts culturels. Et pourtant, en lieu et place de richesses en matière d’artisanat, de littérature et d’arts, on ne nous sert que des « plats réchauffés », du folklore et de la routine : concours de beauté, défilés de mode, matches de gala, colloques et conférences avec des thèmes ressassés ou édulcorés, émissions radio et télé vides mais fortement médiatisées, etc. Comme si l’on manque vraiment d’imagination et d’intelligence pour innover. Ce qui amène à se demander si cela valait vraiment la peine de dépenser tant d’argent et de mettre des hauts dignitaires à la tête des structures.

La troisième réalité des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de pays d’Afrique concerne la direction ou le pilotage des structures mises en place. En effet, de ce point de vue, force est de constater que ce sont leurs fidèles qui ont été nommés par les chefs d’Etat, à l’image du Premier ministre gabonais, M. Paul Biyoghé Mba, de M. Isidore Mvouba, ex-Premier ministre du Congo, de M. Oumar Hamadoun Dicko, ancien ministre du président Amadou Toumani Touré, pour le Mali, ou encore de M. Pierre Kipré, ancien ministre et ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, désormais plus présent sur les lieux festifs qu’à son boulot. Ces choix se justifient sans doute par le fait que la présidence d’une telle structure ne saurait être aux mains de n’importe qui, étant entendu qu’elle constitue un enjeu important, car elle assure à son titulaire une visibilité nationale, voire internationale, pendant de longs mois, ainsi que la mainmise sur un budget important, objet de tant de convoitises, comme cela a été souligné plus haut.

La quatrième réalité est qu’il a fallu « inventer », partout, des symboles spécifiques et « créer » des activités pour l’événement. Dans ce sens, un concours pour le logo du cinquantenaire a été lancé dans plusieurs pays, avec pour le gagnant, une récompense ou une dotation plus ou moins élevée selon les pays et suscitant des « vocations » : 1 million de F CFA (1500 euros) au Mali et au Burkina, 5 millions de francs CFA (7500 euros) au Cameroun, 18 millions de francs congolais (15000 euros) en RD Congo, etc. En Côte d’Ivoire, l’hymne du cinquantenaire (et quel hymne !) a fait l’objet d’un concours, pour un premier prix de 5 millions de francs CFA (7500 euros).

Toujours au niveau des symboles, les autres gadgets incontournables des célébrations du cinquantenaire demeurent les timbres, agendas, livres d’or, DVD, pins, casquettes, tee-shirts et surtout le pagne, comme lors de toutes les campagnes électorales, les funérailles ou les mariages. En Côte d’Ivoire, le pagne du cinquantenaire, vendu par exemple en Angleterre à 30 livres sterling (environ 25 000 F CFA) les 3 morceaux, a été révélé en pompe au grand public le 7 mars 2010, lors d’une cérémonie grandiose présidée par l’ambassadeur Pierre Kipré. Au Mali, les pagnes du cinquantenaire sont confectionnés par la Compagnie malienne des textiles (Comatex), détenue par un opérateur chinois, et qui commercialise des lots comprenant 100 pagnes à 525 euros, véritable aubaine pour les revendeurs. Quant aux tee-shirts, ils sont fabriqués en Chine par des opérateurs locaux, et revendus au prix de 2,25 euros à la Commission, qui en écoule à prix double ou triple, depuis début 2010, environ 5000 par mois auprès des associations et des groupes de jeunes.
En ce qui concerne les activités, notons par exemple que, avec une dotation globale de 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros), (c’est, dit-on, l’un des programmes les plus coûteux), on aura au menu, selon M. Pierre Kipré, « des tombolas, des concours régionaux de beauté et de danse, et des concerts, mais aussi des débats littéraires, politiques et économiques ».

Au Mali, selon M. Oumar Hamadoun Dicko, le programme comprend, outre un colloque international, des épreuves sportives, des publications consacrées à l’événement, un concert géant et un monument du cinquantenaire en forme de calebasse qui sera édifié sur le fleuve Niger entre les deux premiers ponts de Bamako et qu’on évalue à 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros), soit dix fois moins que le « Monument de la Renaissance Africaine », œuvre du président sénégalais, M. Abdoulaye Wade, inaugurée en grande pompe le 3 avril dernier à Dakar…
Ainsi donc, comme vous voyez, ce cinquantenaire nous coûte vraiment cher, du moins nous aura vraiment cher. Et ceux ou celles qui s’opposent ou contestent ces célébrations mettent en avant le fait que les sommes décaissées sont faramineuses et servent, on le voit bien tous les jours, à récompenser ou enrichir des amis ou des proches, à leur offrir des opportunités d’affaires, à séduire des électeurs potentiels, à mettre à nu nos irresponsabilités et nos immaturités en détournant ou en dilapidant les deniers publics à des fins inutiles, purement et simplement, même si, au-delà de ces festivités et de ces gadgets publicitaires, certains Etats ont prévu quelques investissements dans les infrastructures et dans les aménagements urbains.
Force est de reconnaître que ceux et celles qui s’opposent désapprouvent le fait que les manifestations grandioses passées ou à venir grèvent nos finances publiques, déjà très mal gérées, nul ne l’ignore... C’est ce que je pense, moi aussi. En tout cas, je suis entièrement d’accord avec ceux et celles qui accusent nos dirigeants et les populations africaines moutonnières « de n’avoir pas compris que l’année 2010 doit être vue et vécue comme le point de départ d’une nouvelle ère pour nous Africains, et que, cette année, l’opportunité nous est donnée de nous atteler à élaborer un projet sérieux de décolonisation et de développement, à induire avec intelligence les moyens de notre libération totale, à réviser tous les contrats léonins passés avec les pays occidentaux qui ont soin de penser et de décider en notre lieu et place… », etc. Je suis entièrement d’accord avec ceux et celles qui accusent nos dirigeants et les populations africaines suivistes de n’avoir pas compris qu’il nous faut, courageusement et opportunément, reposer le problème crucial de nos indépendances : des indépendances ankylosées par la misère et le déficit moral dans la gestion des affaires publiques ; des indépendances empestées par des génocides, des rebellions et autres conflits plus ou moins ouverts où des Africains n’ont ni honte, ni scrupule à se révéler les « pires ennemis de l’Afrique », à étaler leur barbarie et leur inconscience ; des indépendances confisquées par une armée étrangère sur nos territoires pourtant dits souverains ; des indépendances mises à mal par des assoiffés de pouvoir et autres gouvernants irresponsables aux pratiques d’arrière-garde ; des indépendances dévidées économiquement par une monnaie dont la maîtrise nous échappe , etc. »1…

En tout cas, avec ce que nous avons pu voir jusqu’ici, c’est à croire que le cinquantenaire, c’est, comme dirait Shakespeare « beaucoup de bruits pour rien ». Et aussi beaucoup d’argent pour du vent. C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri, Directeur de Publication

Publié dans la rubrique ce que je pense du Filament N°7



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