mardi 27 juillet 2010

Le rôle des intellectuels africains

Le rôle des intellectuels africains est non seulement d’écrire de nouvelles voies, mais aussi de communiquer massivement des idées audacieuses pour en faire des vérités et pour changer le monde

« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas mais c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles » Sénèque.

Le discours économique sur l’Afrique est généralement dominé par des Non Africains. Et les débats, monopolisés par les stars des medias, les économistes et les politiciens occidentaux, oscillent toujours entre paternalisme et néocolonialisme, entre condescendance et mauvaise conscience. Dans ces discours et ces débats, le continent est plombé par l’image de la misère et la pauvreté qu’on ne peut nier. Et pourtant, l’Afrique dispose d’un dynamisme et d’une réussite qu’il est regrettable d’occulter.
Il est donc urgent que l’Afrique se réapproprie le débat. Il est temps également de sortir de la pensée unique distillée par les bureaucrates des institutions internationales. Car, si l’on fait le bilan des cinquante années d’indépendances, on ne peut que constater l’échec des politiques successives qui ont été imposées à l’Afrique.

D’abord, force est de constater que le système de l’aide internationale a enfermé les dirigeants africains dans une sorte d’inertie. Ceux-ci préfèrent désormais rendre des comptes à la communauté dite internationale plutôt qu’à leurs populations qui ne les intéressent que le jour du scrutin pour mimer un semblant de modèle démocratique. Ils semblent fuir les vrais problèmes, se réfugiant en victimes derrière l’iniquité d’un système, sans rien entreprendre pour lutter contre, d’autant qu’ils tirent d’énormes dividendes personnelles de cette situation. Pourquoi scier la branche sur laquelle on est assis ?
Pourtant, les possibilités de l’Afrique sont énormes et les nouvelles voies de développement sont possibles, encore faut-il oser s’engager sur cette voie de progrès.

On peut cependant s’interroger légitimement : Si le système mondial est contraire aux intérêts de l’Afrique et si les dirigeants africains, dans leur grande majorité, s’en contentent et en tirent eux-mêmes profit, que pouvons-nous faire, à part rester les bras croisés et attendre l’avènement de nouveaux leaders ? Qui pourrait recentrer la réflexion autour de la recherche du bien-être du plus grand nombre ? Qui, à part les intellectuels africains ?
Les intellectuels africains doivent être conscients de leurs immenses possibilités. Leur rôle doit consister, non seulement a écrire de nouvelles voies, mais aussi a communiquer massivement des idées audacieuses pour en faire des vérités.

L’expérience des conservateurs américains montre que certaines idées, considérées comme radicales peuvent, à terme, s’inclure dans la pensée dominante. En diffusant des valeurs et des normes, une nouvelle grille de lecture du monde a été imposée par ces « think tanks ». A travers un processus long et discret, ils ont appris à la société américaine à penser autrement.
Indiquer la voie de la renaissance du continent.
Le Sud-africain Steve Biko disait : « Faites frémir la pensée et vous faites frémir tout un système ». Ceci sous-entend que si les intellectuels n’avaient pas tant de force, pourquoi auraient-ils été persécutés à travers les temps ? Ceci sous-entend aussi que la matière grise est le levier le plus puissant de l’économie. C’est aussi par elle que passe la libération, dès lors que les intellectuels se conduisent en éclaireurs. En tant que tels, les intellectuels africains pourraient se réapproprier l’image du continent en communiquant, dans des termes accessibles à tous, autour des nouvelles voies possibles, des moyens de les mettre en œuvre et des avantages qui pourraient en découler. L’envie d’action doit s’emparer des intellectuels africains, au point de s’arracher au cadre moelleux des ministères et des salles de conférence, pour prendre racine dans le cœur de chaque citoyen, pour prendre faits et causes pour les populations qui souffrent. Les grandes causes avancent mieux quand elles ont le soutien des masses. Chacun peut agir à son niveau : étudiants, universitaires, ONG, syndicats, associations, etc. Chacun peut s’exprimer à travers les écrits, la radio, la télévision, la poésie, l’internet, la chanson, le théâtre, le cinéma, la peinture, le graffiti. L’exemple du cinéaste mauritanien Abderrahamané Sissako est éloquent ; car, quiconque a vu son film « Bamako » comprend, avec la plus grande clarté, les méfaits de l’aide internationale et est convaincu de la nécessité de rompre d’avec ce modèle. Aucune contribution, aucune réflexion n’est inutile, qu’elle soit exprimée dans un cadre de réflexion collective ou de manière individuelle. Les énergies interconnectées vont se décupler et l’internet pourra être un support important pour coopérer, échanger, discuter. On peut douter dans l’isolement ; mais, la force du groupe lève les barrières que notre esprit peut créer lui-même. Ce qui permet de prendre de la hauteur sur les sujets et de développer l’esprit critique, essentiel à l’éveil des consciences. C’est par des étapes successives, mais systématiques, que l’objectif sera atteint. « Le plus grand arbre est né d’une graine menue ; une tour de neuf étages est partie d’une poignée de terre », écrivait le philosophe chinois Lao-Tseu.. Si nous avons le sentiment d’être petit, nourrissons-nous d’exemples réussis et dans ce cadre, une initiative en Turquie mérite d’être soulignée : quatre intellectuels turcs ont su faire avancer le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie grâce à une simple pétition sur internet. Ils ont certes été décriés par les autorités de leur pays ; mais, au final, ils ont contribué à faire avancer le débat figé depuis des décennies, alors qu’ils n’étaient que quatre. On peut également constater, qu’à force de critiques répétées les institutions financières internationales s’engagent vers une réflexion nouvelle visant à revoir leur action et leurs exigences auprès des pays emprunteurs. L’avancée est certes timide ; mais, celle-ci mérite d’être soulignée.

L’un des traits caractéristiques de l’intellectuel est son refus du silence face à l’inacceptable. Ne pas le faire, c’est démissionner. Il faudra travailler sans relâche pour s’affranchir du contexte, consentir des sacrifices ; car, rien ne vient sans effort. Chacun de nous a sa place dans ce grand combat du 21e siècle qui amènera le continent dans le concert des grands. Le combat commence en nous. Car, avant de communiquer, il faut se convaincre soi-même. C’est par le travail, la recherche, les conférences que nous enrichirons la base de connaissance essentielle à une analyse lucide et pertinente. Ne prenons jamais pour argent comptant une analyse, même si elle vient d’organisations qui nous paraissent respectables. Ayons l’esprit critique et curieux. Ne plaignons pas notre temps et notre travail car la connaissance est la voie du respect de soi-même et la voie du salut du continent que nous aimons. Ne soyons pas des pions endormis !

En Côte d’Ivoire, on a coutume de se rassurer en disant «ça va aller !». Tout nous incite à croire que ça va aller. Mais, on perd souvent de vue que ca ne va pas et que pour que ça aille : il faut oser !

Adjé Kouakou, Producteur et Présentateur de l’émission AMANIEN.
Voice of Africa Radio à Londres

Paru dans la rubrique Amanien du Filament N°7



0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

 

Le Filament Magazine Copyright © 2011 -- Template created by O Pregador -- Powered by Blogger