mercredi 23 juin 2010

L’impôt de capitation dans les colonies françaises d’Afrique

Après la conquête, l'autorité coloniale élabora un vaste programme d'exploitation et de mise en valeur des colonies. Ce programme suivait, cependant une logique particulière qui plaça, en première ligne, les intérêts économiques, politiques et sociaux des colonisateurs. L'idéal, pour ces derniers, était d'exploiter et accaparer, avec le minimum de charges financières, sinon gratuitement, toutes les ressources des colonies. Rappelons-le, l'assujettissement maintient les colonies dans la subordination étroite à la métropole qui les exploite à son profit, et, sans tenir compte de leurs aspirations, qui leur imposent le régime le plus conforme à ses intérêts. C'est pourquoi les colonies ne devaient rien coûter à la métropole.

Au nom de ce principe, le pouvoir colonial institua l'impôt de capitation – c'est-à-dire par tête- ou l'impôt personnel, qui était une forme de contribution obligatoire que les peuples colonisés devaient verser au colonisateur, pour assurer le financement de leur domination. Etabli au Sénégal pour la première fois par décret impérial du 4 août 1860, promulgué le 5 août 1861, l'impôt personnel constitua un précieux outil devant permettre la réalisation de l'ambitieux programme de mise en valeur que la France avait entrepris dans son empire colonial. L’établissement de l'impôt de capitation rejoignait l'axiome fondamental de la doctrine coloniale française en matière financière : « dominer, exploiter, mais à moindre coût ».
Cette conception des rapports économiques de la France avec ses colonies africaines fut dévoilée au grand jour, à partir de 1892, avec la mise en place des budgets locaux des colonies qui furent alimentés par le produit des redevances, impôts ou contributions que les conventions passées avec les chefs permettaient de percevoir. Par ces mesures, les colonies devaient assurer tous les moyens financiers, matériels et humains pour la mise en place de l'infrastructure coloniale.
Cette vision des finances coloniales atteint son paroxysme avec la loi de finances du 13 avril 1900, au terme de laquelle les colonies devaient désormais assurer par leurs propres moyens et leurs revenus intrinsèques, le financement total de leur outillage économique et infrastructurel, que l'exploitation de leurs ressources et leur mise en valeur allaient inéluctablement entraîner. Cette loi, intéressante pour notre étude, surtout en son article 33, consacra le principe de l'autonomie financière des colonies. Chaque région devait ainsi mobiliser ses ressources pour participer aux objectifs du colonisateur. Ce dernier supprima les subventions jusque-là accordées aux colonies dans leur budget. Dans cette logique, la colonie apparaît comme une entité devant répondre, au mieux et en tout temps, à sa vocation de support financier de la métropole, quel qu'en soit le coût social pour les indigènes.
Ainsi donc, l'impôt, qu'il soit sous forme de capitation ou de taxes indirectes ou de prestations, dont le travail forcé, constituait un précieux instrument d'exploitation et de domination au service de la cause coloniale.

Cheikh DIOUF (Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Extrait de « Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940 ». Source : Mémoire Online).

Paru dans la rubrique Droit de savoir, devoir de mémoire du Filament N°5



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