mardi 27 juillet 2010

Autopsie de la déontologie médicale en Afrique : Le cas du Sénégal

On ne peut, à moins d’être nihiliste, refuser d’admettre que des progrès appréciables ont été accomplis en matière de santé publique au Sénégal. Le maintien du taux de prévalence du VIH/SIDA, à un niveau enviable en Afrique, et les résultats probants obtenus dans la lutte contre le paludisme en sont quelques illustrations. Mais, fondamentalement, l’œuvre médicale dans les hôpitaux publics notamment, est gangrénée par une conscience médicale comateuse irrigant des attitudes professionnelles désastreuses voire criminelles. En effet, comment expliquer qu’un médecin ayant prêté serment et dépositaire d’une mission vitale de service public, puisse tourner le dos à un mourant au motif que l’établissement qu’il dirige n’a plus de place ? Ne se serait-il pas précipité sur lui pour lui apporter des soins élémentaires s’il s’agissait de son enfant ou de son conjoint ?

L’insouciance et l’écrasement de la dignité humaine, maintes fois reprochés aux Africains, ont fini par abattre la déontologie médicale. Au-delà de l’indignation que suscite ce deuil, il convient d’en faire l’autopsie pour essayer de comprendre comment des hommes et des femmes censés apporter des soins et du réconfort aux patients ont pu s’arracher à un minimum de conscience professionnelle pour hisser l’action publique médicale au pinacle de la grossièreté.

Les symptômes pathologiques de cette mal gouvernance hospitalière sont patents et la banalisation dont ils font l’objet confirme la thèse selon laquelle l’Africain, en général, n’a de respect, ni pour la vie, ni pour la mort. L’insalubrité, le népotisme et la désinvolture règnent en maîtres souverains dans les hôpitaux, centres, postes et cases de santé sous le regard passif des autorités et des usagers. Certains malades internés partagent des chambrettes malodorantes avec des souris et des cafards, témoins d’une saleté devenue ordinaire. Par exemple, à Dakar, dans certains centres de santé situés dans des quartiers chaotiques soumis à la dictature du bruit et du désordre, des badauds déambulent sottement dans les salles de soin, violant sans conscience l’intimité des malades, y compris celle des femmes en pleine séance d’accouchement.

Le Plan SESAM dédié aux personnes âgées est régulièrement piétiné. Au service d’accueil, le personnel n’a généralement aucune sollicitude envers des malades désespérés et fait preuve d’une lenteur administrative épouvantable devant des situations d’urgence. Le malade lui-même n’est pas respecté. Lorsqu’il arrive à des heures tardives, même aux urgences, il est boudé et soumis à un service minimum et désinvolte, coupable qu’il est de troubler le sommeil du personnel de garde. Le personnel médical est d’ailleurs généralement nonchalant, désagréable et parfois impoli, sauf lorsqu’il est soudoyé par les parents du malade. Lorsque le pensionnaire est une haute personnalité religieuse, politique ou économique, le personnel de service, tout en délaissant les patients ordinaires et inutiles, s’affaire autour de lui avec un zèle ostensible, dopé par l’espoir d’une récompense corruptive.

Aux malades ou à leurs accompagnants, on demande d’acheter une pléthore des médicaments dont la plupart sont manifestement inutiles. Le médecin en administre un ou deux et, anesthésié contre la honte, subtilise le reste pour le vendre astucieusement à d’autres patients.
A la cuisine, la viande fraîche et les autres aliments réservés aux malades sont quotidiennement détournés au bénéfice des employés qui les amènent à la maison pour leur ration quotidienne, sinon vendus au public. Certains employés profitent du sommeil des malades pour voler les fruits et le lait offerts par les visiteurs.
Les toilettes des salles d’hospitalisation sont horriblement sales et ce sont parfois les accompagnants qui les nettoient pour éviter que le malade n’attrape d’autres infections liées au manque d’hygiène.

Le laxisme et la permissivité dans le service public se sont donc emparés des milieux médicaux publics où l’on retrouve des balayeuses, d’anciens accompagnants de malade et des gardiens analphabètes qui, à force de rôder dans les couloirs de l’hôpital, sont devenus sages-femmes ou infirmiers de fait. Prétentieux et usurpateurs de titre, ils traitent des malades et commettent des erreurs fatales, occultées avec la complicité du médecin traitant.
Au lieu de s’acquitter du suivi correct des malades qu’ils viennent d’opérer, de nombreux médecins, détournés de la déontologie professionnelle par l’attrait du gain financier, les abandonnent à des mains inexpertes et courent vers les cliniques privées à la recherche d’interventions onéreuses. D’autres s’empressent d’effectuer une césarienne que rien n’impose pour empocher les honoraires de l’intervention chirurgicale. On ne peut pas reprocher à un travailleur de se soucier de sa situation financière après de longues années d’études, mais les préoccupations de carrière ou de gain facile ne doivent jamais primer sur des vies humaines.
Il est vrai que l’Etat doit assurer au personnel du service public hospitalier d’excellentes conditions de travail, compte tenu de la mission capitale dont il est investi. Mais, même si, dans ce sillage, les revendications du corps médical tendant à la revalorisation des conditions d’exercice de la profession sont défendables, rien ne justifie que d’innocents malades fassent l’objet de traitements désobligeants et cavaliers de la part de ceux-là mêmes qui sont appelés à les soigner et a sauver des vies humaines.
Il est vrai que les usagers ont aussi une part de responsabilité dans le désordre qui prévaut dans les hôpitaux publics. Certains malades s’amusent à consulter des charlatans et attendent d’être au bord de la mort pour aller accabler le médecin. Et lorsqu’on les retient pour hospitalisation, ils attirent une foule inutile de parents et amis affolés qui assiègent la salle d’hospitalisation et empêchent le personnel médical de faire correctement son travail. Des parents, sortis de villages lointains, campent dans le jardin de l’hôpital, le salissent, y passent la nuit alors qu’ils ne sont d’aucun secours au malade. Certains d’entre eux déposent leur baluchon au chevet du malade pour profiter des repas apportés par les proches parents.
Si de tels agissements sont particulièrement intolérables, c’est parce qu’ils sévissent dans un secteur directement lié à la vie humaine. Mais, en réalité, ils sont symptomatiques d’un malaise général et profond qui frappe le service public au Sénégal, comme dans tous les autres pays africains, et qui s’explique conjointement par le déficit d’esprit citoyen et la mauvaise éducation.

Que faire alors pour ressusciter la déontologie médicale ?
D’abord la prévention. Il faut, en effet, veiller à ce que la santé des personnes ne soit plus confiée à des bricoleurs peu conscients de la dignité humaine, bannir les recrutements douteux et recourir à des personnes de bonne moralité pour animer le secteur clé de la santé.
Ensuite, l’éducation. C’est connu, l’éducation au Sénégal est en lambeau. On a formé beaucoup de cadres et de techniciens, mais peu de citoyens. La connaissance du corps humain et des maux qui peuvent l’affecter ne suffisent pas pour faire un médecin du secteur public ; il faut, en plus, dans ce métier sacerdotal, une conscience professionnelle et civique élevée qui résiste à l’appel de la corruption et du parti pris et qui s’aligne à la préciosité de la vie humaine.
Enfin le bâton, pour frapper, avec la dernière énergie, les pseudo médecins dont la négligence a causé des catastrophes impunies.

Dr Rosnert Ludovic Alissoutin
Consultant international

Paru dans la rubrique Libre propos du Filament N°7



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