samedi 30 octobre 2010

Du meeting de M. Kouadio Konan Bertin à Tiassalé


Il y a quelques jours, j’ai lu un article de presse du journaliste Jules Claver Aka, Envoyé spécial du journalLe Nouveau Réveil. L’article est un compte-rendu du meeting de M. Kouadio Konan Bertin, alias KKB, président national de la Jeunesse du PDCI. Ce meeting a eu lieu le dimanche 3 octobre dernier à Tiassalé, dans le sud de la Côte d’Ivoire, et ce, dans le cadre de « larentrée politique de la délégation départementale du PDCI». Comme d’habitude, je vais ici saisir l’occasion pour dire ce que je pense de ce que M. Jules Claver Aka a qualifié de « message dense aux militants du PDCI ».

Êtres humains ou bêtes à visages humains ?

En cette période pré-électorale, M. KKB a recommandé aux militants du PDCI en général, et aux jeunes en particulier, la mobilisation permanente. Au titre des consignes de vote, il leur a donné les mots d’ordre suivants : « On va commencer à voter le 31 octobre à partir de 8 heures, jeunes de Tiassalé, dès 8 heures,vous prenez tous les bureaux de vote. Assurez-vous que les femmes et les vieux ont tous voté. A partir de midi, vous avez fini le travail …si Gbagbo s`amuse à appeler ses patriotes dans la rue, vous les cognez proprement ».Autrement dit, le PDCI n’attendra pas la clôture des bureaux de vote, encore moins le dépouillement… J’avoue que, là, j’ai été bien choqué par la violence du langage de M. Kouadio Konan Bertin. Il me semble avoirretrouvé le même discours d’une autre époque qui, hier, invitait et incitait les jeunes du RHDP à bruler les bus et les édifices publics de la république. Et alors, je me suis demandé pourquoi les responsables politiques ivoiriens répugnent tant à bannir de leur langage les appels à la violence ? Je me suis également demandé comment des gens, parce qu’ils se disent « militants » peuvent-ils toujours exécuter ce genre de mots d’ordre, sans réfléchir et sans se rendre compte qu’ils se font du mal à eux-mêmes et au pays ? C’est à se demander siles militants africains se prennent pour des êtres humains ou si l’on doit les considérer comme des bêtes à visages humains ?

Un nouveau Pétain ?

En tout cas, les propos de M. KKB m’ont vachement rappelé ceux de M. Philippe Pétain, chef de bataillon,professeur à l’Écolede guerre, chargé du commandement des troupes engagées à Verdun. Devenu aux yeux de tous « le vainqueur de Verdun » et jouissant d’une popularité considérable, Philippe Pétainreçut son bâton de maréchal de France en novembre 1918. Il privilégiait les charges de cavaleries et les attaques à la baïonnette, préconisait l'utilisation des canons pour les préparations et les barrages d'artillerie, afin de permettre la progression de l'infanterie, laquelle doit pouvoir tirer précisément sur des cibles individuelles. Le maréchal Pétain déclarait aux élèves officiers : « Accomplissez votre mission coûte que coûte. Faites-vous tuer s'il le faut… ». C’est sans doute à cause de ce langage de violence qu’il fut condamné à l’indignité nationale, et fut exclu de l’Académie française…

Du délire paranoïaque

Dans le même message, M. KKB a précisé : « Je suisvotre attaquant. Et vous êtes des défenseurs. Tiassalé est ma surface de réparation. Et vous êtes mes défenseurs. Ma surface est entre vos mains. C`est lamission que je vous confie ». On note ici que le langagede M. KKB est caractérisé par une réelle surestimation de lui-même, une auto-proclamation, un orgueil anormalement développé et associé à l’agressivité et au mensonge. C’est ce que les psychologues appellent « le délire paranoïaque ». Malheureusement, la paranoïa, est la maladie dont souffrent la plupart de nos politiciens, à tous les niveaux, à droite comme à gauche ; c’est cela qui fonde leur mauvaise foi et quijustifie que, chez nous, il y a plus de dérapages que de propositions d’idées constructives. Il faut savoir que la paranoïa est, au sens premier, un dérèglement appartenant au groupe des psychoses. Elle est caractérisée par un délire systématisé, sans affaiblissement des capacités intellectuelles. C’est une maladie qui débute à l'âge moyen de la vie (35-45 ans) sur un fond de méfiance, d’orgueil, d’hypertrophie du Moi, de susceptibilité, de jugement faux, de rigidité du psychisme, de désir de vengeance…), qui naît, bien souvent, d'un conflit psychoaffectif d'importance variable ; ce qui suppose que, pour comprendre les propos et les agissements de l’individu concerné, il fautfaire une investigation dans son enfance et dans sa jeunesse, c'est-à-dire interroger son milieu familial, ses relations avec ses parents, son niveau d’instruction, etc.

Dans ce cas du « délire paranoïaque », le sujet tient des propos très bien argumentés, apparemment cohérents et convaincants, si bien que l’on arrive parfois à engager des personnes fragiles ou ignorantes ou manquantd’esprit critique ou incapables de « s’élever au-dessus des contingences immédiates pour se comporter en êtres pensants ». Mais, la base du raisonnement est fausse, ou la conclusion est erronée. En effet, M. KKB a, au cours de ce meeting du dimanche 3 octobre dernier à Tiassalé, affirmé que « le coup d`Etat de 1999 s’est passé sans effusion de sang par la volonté du président Henri Konan Bédié, parce que celui-ci ne voulait pas que le sang de ses compatriotes coulepour son pouvoir ». Ceci est totalement faux, puisque le président Henri Konan Bédié avait appelé à la« résistance » au coup d’Etat l’emportant. C’est plutôtles Ivoiriens qui ont refusé radicalement de verser inutilement leur sang pour un homme qui s’était montré, comme l’avait écrit Béchir Ben Yamed, « inapte à assumer l’héritage d’Houphouët-Boigny : le vêtement était visiblement trop ample pour lui » (J. A, janv. 2000).Et puis, nul n’ignore que « l’appel à la résistance » de M. Henri Konan Bédié avait donné le jour à une liesse populaire pour saluer son départ et pour cause. La « Lettre Ouverte » signée des mains de M. Tiburce Koffiet publiée dans le journal Le Jour n° 1270 du 30 avril1999 précise : « …Monsieur le Président, vous et vos amis et partenaires du pouvoir politique, seuls élus au banquet de l’abondance et de la jouissance, n’avez pasle sens du sacrifice. Vos préoccupations essentielles semblent être les suivantes : continuer dans la culturedu gaspillage et du clinquant, sacrifier le peuple, bloquerles salaires, hausse sans cesse et fantaisiste des prix,absence d’une politique sociale réelle du logement… Ici, en Côte d’Ivoire, on ne pense plus, on mange et on cherche à manger, car le savoir ne donne plus accès ni au respect ni au travail… ». Sans commentaire. De plus,M. KKB affirme que « Laurent Gbagbo sait qu`il ne peut jamais gagner les élections en Côte d`Ivoire, même dansses rêves les plus fous ». Et pourtant…

J’accuse

Dans son « message », M. KKB a dit : « …Quand on demande à des gens, qui allez-vous votez, ils répondent Laurent Gbagbo. Et quand on leur demande pourquoi,ils répondent, parce que Laurent Gbagbo est garçon. Depuis quand on est garçon en politique ? Laurent Gbagbo est quel genre de garçon ?... Laurent Gbagbo joue au brave alors que ses collaborateurs autour de lui meurent… Boga Doudou est tombé, Daly Oblé est tombé, Dagrou Loula est tombé. Bouaké est tombée,Korhogo est tombée, Man est tombée… et la Côte d`Ivoire est aujourd`hui divisée en deux. Alors, Gbagbo est quel genre de garçon ? Il a dit, tant que je seraiprésident, Soro Guillaume ne sera jamais ministre.Gbagbo est président et Soro Guillaume est devenu Premier ministre. Quel genre de garçon est-il ? »...Je me dois d’abord d’avouer que j’ai été choqué par la désinvolture et la vulgarité du « leader » qu’est M. KKB. Il n’est en rien un modèle, ni au plan intellectuel, ni au plan politique, ni au plan de l’éthique… Il ne sait mêmepas respecter la mémoire des hauts cadres et des officiers supérieurs de notre armée nationale, en l’occurrence feux Boga Doudou, Daly Oblé, Dagrou Loula, entre autres, qui au-delà de leurs appartenances ethniques et politiques, sont, d’abord et avant tout des dignes fils de la Côte d’Ivoire et ont été de loyaux serviteurs de la Côte d’Ivoire. Il n’éprouve aucune peine devant le désastre qu’a dû subir notre pays, et singulièrement les régions de Bouaké, Korhogo, Man… dont les populations ont été les plus durement touchées par la rebelion. On a même l’impression qu’il éprouve une certaine gaîté à voir « la Côte d`Ivoire aujourd`hui divisée en deux » et qu’il ne comprend pas que c’est là, bel et bien, la preuve de notre sauvagerie et de notre barbarie qui nous rendent ridicules aux yeux des autres peuples du monde.

Le président burkinabè Blaise Compaoré, médiateur dans la crise ivoirienne, a lancé "un appel solennel" pour "une campagne électorale sans violence". Le représentant spécial de l'ONU en Côte d'Ivoire, M. Youn-jin Choi, a exhorté les candidats à la "maturité" et le président de la Commission électorale indépendante (CEI), M. Youssouf Bakayoko, a prôné "la plus grande sagesse durant cette période sensible". Aussi, force est d’accuser M. Henri Konan Bédié, candidat à laprésidence de la République démocratique de Côte d’Ivoire, de laisser le leadership de la jeunesse de son parti à un tel « garçon » semant à tout vent les germes de la violence ? A moins que M. KKB soit « la voix de son maître »... Sinon, le président Bédié devrait rappeler M. KKB à l’ordre ou tout au moins calmer ses ardeurs... Du moins, de mon point de vue... Et, fort heureusement et à mots couverts, le vice-président du PDCI, M. Ouassénan Koné l’a fait, fort bien sagement, en invitant les Ivoiriens à la raison et al tempérance: « Je voudraisvous inviter à être prudents le 31 octobre », a-t-ilconseillé aux populations de Tiassalé. Chapeau bas, mon Général ! Par-dessus tout, j’accuse les autorités de Tiassalé de n’avoir pas réagi aux propos d’incitation à la violence de M. KKB, aux fins de les condamner vigoureusement, de prévenir tous actes de violence susceptibles de porter atteinte à la crédibilité du scrutin du 31 octobre que nous avons appelé de tous nos vœux, de sorte que nous restions tous unis derrière celui qui sera élu, commecela se passe dans les pays civilisés du monde entier.

M. KKB a conclu son message en invitant l`ensemble de la population de Tiassalé à « faire le bon choix le 31octobre… Et, faire le bon choix, a-t-il dit, c’est voterBédié, parce que Bédié est prêt à reprendre le combat du développement là où les armes l`ont contraint à lelaisser ». Sur ce point, il y a débat. La vérité sortira, au soir du 31 octobre, des urnes.C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri,Directeur de Publication



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