dimanche 26 décembre 2010

A quoi servent les observateurs internationaux lors des scrutins en Afrique ?


Depuis l’avènement du multipartisme en Afrique, les élections présidentielles mettent désormais aux prises plusieurs candidats issus généralement de partis politiques différents.
Avant chaque scrutin, des observateurs internationaux sont envoyés par des organisations internationales. Il s’agit principalement des personnalités très expérimentées, réputées être crédibles et impartiales qui viennent en mission dans les pays organisant des élections.
Leur mission : assurer la fiabilité des processus de vote
La mission de ces observateurs internationaux consiste à garantir, ne serait-ce que par leur présence, la fiabilité et la transparence des opérations de vote. Ils font désormais partie du rituel de toutes les élections africaines.
La plupart de ces observateurs internationaux sont des ex-chefs d’Etat, des anciens ministres, des juristes, des parlementaires, des responsables d’ONG ou des intellectuels célèbres. Leur présence vise, dit-on, à contribuer à ce que les élections soient propres, « free and fair », (libres et équitables), transparentes, et partant fiables. En d’autres termes, les observateurs internationaux sont là et censées contribuer à
enrayer les velléités et pratiques de manipulations illégales et de manœuvres frauduleuses par les candidats qui seraient tentés d’accéder ou de se maintenir au pouvoir, vaille que vaille. Ainsi donc, l’observation internationale est supposée jouer un rôle important dans la protection de « l’intégrité électorale » et l’exercice du droit citoyen.

Afin d’assurer la légitimité et la crédibilité de leur tâche, les observateurs internationaux sont censés accomplir un travail de fourmi qui dure souvent plusieurs semaines, et qui consiste notamment à tout ausculter depuis l’établissement des listes électorales jusqu'à la proclamation des résultats. Ils sont aussi tenus de se soumettre à des normes de conduite internationalement reconnues. Dans ce sens, plusieurs organisations spécialisées dans l’observation internationale ont élaboré des codes de conduite visant à guider le comportement des observateurs durant leur mission.
Une présence incontournable, mais…
La force de ces observateurs internationaux réside en ceci que, une fois le scrutin terminé et leur mission accomplie, leur rapport a un poids évident, surtout dans la logique des relations internationales et leur avis est pris strictement en compte, du moins très au sérieux, notamment en matière de coopération. Cet état de fait est confirmé et souligné par M. Chris Fomunyoh, Directeur de National Democratic Institute for International Affairs (NDI) de Washington pour l’Afrique qui a la charge de superviser les processus de démocratisation dans le monde entier. Selon M. Chris Fomunyoh, « le gouvernement américain veut travailler avec tel ou tel Etat. Ainsi, les rapports des observateurs lui servent largement à fonder son jugement en
ce qui concerne le degré de démocratisation ». C’est sans doute cela qui rend la présence des observateurs quasi incontournable lors des scrutins en Afrique, certes.
Mais, là où le bât blesse, c’est qu’on observe que le nombre des observateurs internationaux est souvent restreint à quelques dizaines de personnes, même lorsque le pays observé est très peuple ou très vaste comme le Nigeria ou la RD Congo. Dans cet état de fait, les observateurs internationaux, même malgré de bonnes intentions et des expertises avérées, n’ont ni le temps, ni les moyens de visiter tous les bureaux de vote, ne peuvent assister à tous les dépouillements et décomptes, sortent très rarement de la capitale où ils sont reçus dans des conditions exceptionnelles durant leur séjour : hôtels et voitures de luxe, garde de corps, etc. D’où, les rapports et avis des observateurs internationaux ne peuvent être que partiels ou partiaux, alors que l’observation doit être objective, efficace, vigilante et non partisane. Par ailleurs, on s’aperçoit très vite que leurs rapports sont souvent non équilibrés ou non concordants, et cachent mal leurs préférences pour un parti ou un candidat quelconque, en lieu et place de l’objectivité requise pour produire des rapports impartiaux. Cela enlève toute crédibilité à leur mission et n’aide pas à garantir l’intégrité ou la fiabilité du processus électoral.
On observe souvent que les observateurs internationaux sont souvent otages des politiques qui, par la force des choses, organisent et contrôlent le processus électoral et sont leurs premiers interlocuteurs, dans le sens du respect des règles d’accréditation pendant leur mission d’observation. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient si souvent accusés de partialité ou de complicité en faveur de tel ou tel candidat qu’ils reconnaissent "légitimement élus", après bourrage des urnes et tripatouillage des listes, c'est-à-dire en dépit, des votes contestés. Des irrégularités et des manipulations frauduleuses qui n’échappent pourtant à personne, y compris les observateurs eux-mêmes. Par exemple, en 2007, la Commission européenne a déployé de gros moyens pour les législatives et la présidentielle au Nigeria : cent cinquante observateurs. Dans leurs rapports ceux-ci ont relevé des "preuves évidentes de fraude : assassinats, électeurs empêchés de voter, urnes ostensiblement
bourrées. Leur chef, Max Van den Berg, n’a pas mâché ses mots : « ces élections ne peuvent être considérées comme crédibles" et sont "loin des critères démocratiques internationaux de base", a-t-il dit deux jours après le vote. Un mois plus tard, Umaru Yar’Adua, le vainqueur de la parodie électorale, était investi en grande pompe à Abuja.
On observe souvent qu’une lacune constatée parmi tant d’autres concerne la défaillance dans le contrôle au niveau des listes électorales. En effet, les observateurs internationaux se trouvent généralement dans l'impossibilité quasi-totale de vérifier si un électeur n'a pas déjà voté dans une autre circonscription, de faire respecter strictement les principes du vote secret, ainsi que d’imposer la présence dans tous les bureaux de vote des délégués ou des représentants de la société civile, etc.
Légitimer des mascarades et des crimes de sang ?

On dit que le mandat des observateurs internationaux n’est pas de superviser, ni de corriger les erreurs, ni de résoudre les conflits locaux, ni de s’ingérer dans le processus électoral, mais d’observer et à la limite de dénoncer des
irrégularités, sinon de « saluer le calme qui a entouré le processus ». En effet, souveraineté nationale et non-ingérence obligeant, les observateurs internationaux se contentent naturellement d’observer. A ce propos, M. Patrice Lenormand, chef du département de l’observation électorale à la Commission européenne déclare : « Nous n’avons qu’un rôle de dénonciation… Notre code de conduite précise que « les observateurs ne doivent entraver aucun élément du processus électoral. […] Ils doivent porter les irrégularités, les fraudes ou tout autre problème important à l’attention des fonctionnaires électoraux sur place ». C’est ainsi que, en mai 2005, en Éthiopie, les élections ont été chaotiques. La contestation des résultats par l’opposition a été réprimée dans le sang. Près de 30 personnes sont mortes, 100 ont été blessées. Des faits dénoncés par la mission d’observation européenne, mais les résultats ont été validés, comme l’atteste l’un des observateurs : « Nous étions 200 observateurs. Nous avons eu les résultats durant la nuit, mais ceux annoncés le lendemain par le gouvernement n’étaient pas du tout les mêmes. Il y a eu vingt jours de répression contre l’opposition. Et, alors que nous n’avions pas encore rendu nos conclusions, Javier Solana [haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, NDLR] félicitait Mélès Zenawi [le Premier ministre éthiopien]. Trois semaines plus tard, il était invité à Londres et à Bruxelles ». A noter aussi que, aux dernières élections à Madagascar, suite à une étude faite auprès d'une cinquantaine de bureaux de vote sur les 18 173 existant dans tout Madagascar, ces observateurs étrangers se disent satisfaits de leur mission d'observation, malgré de graves lacunes observées.
Utiles ou inutiles?
Cet état de fait a amené un observateur critique à dire, non sans humour noir, que « le travail des observateurs internationaux, c’est d’arriver le samedi soir, de faire la fête et de repartir le dimanche". On a aussi entendu dire que « dans l’attitude des observateurs, il y a un côté tourisme électoral ». Un autre observateur tirant subsistance de ses juteuses missions d’observateur international, a déclaré en sourdine : « les observateurs sont payés cher pour ce qu’ils font et surtout pour ce qu’ils ne font pas ». Ce dernier faisait sans doute allusion au coût des observations, dont on ne sait jamais exactement
qui paye. Parlant de coût, faut-il rappeler que, par exemple, au Togo, en février 2010, 110 observateurs (dont 30 de long terme) ont été envoyés par Bruxelles. Ils percevaient, par tète de pipe et par jour, un per diem de 195 euros, soit 128.000F CFA par jour, (hormis les dépenses d’hôtel et de restauration) ce qui équivaut à peu près à 24 euros par heure, soit 16.000F CFA ; les transports sont par ailleurs pris en charge). Toujours au chapitre des coûts, il faut savoir que, depuis 2000, la Commission européenne a dépensé au moins 300 millions d’euros en missions d’assistance électorale, dans 40 pays. Beaucoup d’argent, beaucoup de temps et beaucoup d’énergie, pour venir « observer » et être témoins de morts d’hommes, sans assistance á des personnes en dangers et pour finalement accréditer des mascarades consacrant la mort de la démocratie dans certains pays. Dans ces cas, l’observation prend le sens d’une quête de preuves récentes et d’images nouvelles de barbaries exotiques pour mettre à jour les préjugés et les thèses racistes.
On peut conclure que la plupart des rapports des élections, dans bien de pays observés, ne sont pas crédibles, malgré la présence des observateurs internationaux. Sur ce, je suis tenté de dire que les élections pourraient avoir lieu en leur absence, ou si l’on préfère, sans leur présence. C’est que je pense.

Léandre Sahiri,
Directeur de Publication



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