L’école dans notre
pays, se meurt lentement, mais sûrement.
Un état des lieux
au lendemain du conflit armé est assez révélateur de la situation
d’agonie de notre école, ainsi que du but visé par l’armée des
rebelles. Un confrère a décrit la situation avec des détails
minutieux (voir encadré). Déjà en 2002, lors de l’envahissement
des zones du Nord et de l’ouest par la rébellion, les salles de classe
avaient été prises pour cible, afin d’y loger la soldatesque (dozos
et rebelles). Pendant plus de huit années, la dégradation des infrastructures
scolaires a été poussée à un rythme exponentiel. La descente des
rebelles vers Abidjan a donné l’estocade générale. Non seulement,
les bâtiments administratifs ont été dégradés et détruits, mais
les archives et la mémoire de tout ce qui constitue la connaissance
universitaire a été ravagée par la furie destructive des hordes
de soldats analphabètes. Tous les temples du savoir ont été éventrés,
balafrés puis occupés par des gens qui faisaient une allergie chronique
à tout ce qui est scolaire et universitaire. Tout a été pillé au
point qu’il faut aujourd’hui tout reprendre à zéro, comme s’il
n’y avait jamais eu ni écoles supérieures, ni universités dans
notre pays.
L’arrivée de Mme
Anne Oulotto, ministre de la salubrité urbaine, n’a rien arrangé :
sous sa houlette, toutes les installations des alentours des centres
universitaires, qui nourrissaient le secteur informel de l’économie
ivoirienne ont, dans le cadre de l’“opération de déguerpissement
du domaine public”, été systématiquement déblayées afin, dit-on,
d’assainir l’environnement des cités universitaires. C’est donc,
à juste titre, que, soit dit en passant, on la surnomme « la ministre
bulldozer ».
Suite à cette
opération, les ravalements prévus se chiffrent à plusieurs milliards
qu’il faut, d’abord et avant tout, trouver. En attendant, la reconstruction
et la réouverture des écoles détruites demeurent hypothétique,
parce que pour le gouvernement la priorité des priorités n’est pas
l’éducation, mais plutôt les prisons. On se rappelle, en effet,
que la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) dont les
locaux rénovés à hauteur de deux milliards FCFA, a rouvert ses portes
le mardi 16 août 2011 à 11 heures. La cérémonie solennelle (suivie
d’une visité guidée des lieux) qui a marqué cet évènement s’est
déroulée en présence du ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko
et celui de la justice, Ahoussou Jeannot… Le temps continue de s’écouler
longuement, réduisant les élèves et les étudiants à l’oisiveté.
La réaction du gouvernement,
surtout de la ministre Kandia est apparemment portée par une
farouche volonté de faire bouger les choses dans le bon sens, (kits
scolaires gratuits, retour aux uniformes, etc.). Mais, la maladresse,
l’incompétence et autres « marchandages », telle l’affaire de
30 milliards (lire page 27) minent ses actions.
79,41% de taux d'échec
au baccalauréat, 81,91% d’échec au BEPC… Des résultats catastrophiques
dont certains tabloïds ont fait leurs choux gras. On a même parlé
de « résultats indignes qui sont la résultante de l’incompétence
du gouvernement Ouattara ». Même si l’échec ne peut pas être
directement du fait du nouveau pouvoir, le taux effrayant d’échec
(75 à 80%) devrait faire raison garder, pour que, dans le calme et
avec le recul nécessaire, soient prises des décisions idoines.
D’autre part, les
affectations en sixième ont connu quelques difficultés qu’on pourrait
qualifier de plus ou moins mineures. Sur l’ensemble des 272.242 candidats
officiels présents à l’examen de CEPE, sont définitivement admis
en classe de 6ème : 140.896 élèves, soit un taux de 51,75 %. Au total
226 établissements privés accueillent cette année 36.780 élèves
contre 104.116 affectés dans les établissements publics.
Par ailleurs, ce qui
est gênant, c’est la décision de Mme Kandia de supprimer la FESCI
et d’interdire tout syndicalisme dans les lycées et collèges
du pays : “Désormais, aucune activité syndicale n’est autorisée
aux élèves, conformément à la loi qui proscrit le syndicalisme au
moins de 21 ans”. Comme l’a écrit le juriste Arsène Tohou, «
cette décision intervient au moment où l'Ecole ivoirienne est en proie
au plus grand malaise de son histoire avec à la clé, une année blanche
universitaire garantie par la fermeture des Universités. C'est la FESCI
qui est visée ; mais, l'on n'a pris le soin de ne pas la citer. Comme
si Mme la Ministre avait eu peur de toucher le furoncle dont on sait
tout de même que le percer soulagerait tout le corps. Pour donner un
fondement légal à sa décision, elle invoque "la loi". "Nous
avons consulté la loi qui stipule que pour participer à une activité
politique ou syndicale, il faut être majeur", dit-elle. Bien entendu,
un tel argumentaire est trop expéditif, trop superficiel, trop chorégraphique,
trop classique pour être persuasif pour un esprit alerte et interrogateur.
Car, si c'est à la loi ivoirienne qu'il est fait allusion ici, un regard
exploratoire bien mené suffit pour découvrir que cette décision est
d'une illégalité manifeste. Si nous soutenons que la décision de
Mme la Ministre est manifestement illégale, ce n'est pas seulement
parce que le fondement légal qu'elle invoque est inopérant, mais c'est
aussi parce que nous sommes en présence d'une décision ministérielle
qui est d'une inconstitutionnalité outrageusement frappante… En d’autres
termes, c’est une méprise par action, commise par l'autorité émettrice
de la décision, qui viole la Constitution de Côte d'Ivoire». Pour
elle, le syndicalisme ne rime pas avec minorité (moins de dix huit
ans). C’est là une grave atteinte aux droits de l’homme ;
sans commentaire ! Le syndicalisme s’apprend aussi à
l’école. La preuve, Soro en est un produit local. Plutôt,
mieux vaudrait encadrer les jeunes pour éviter toutes dérives
dans la défense des intérêts des élèves et étudiants…
Le point d’orgue
se situe dans l’action surabondante du ministre Cissé Bacongo qui
a viré, du jour au lendemain, de la liste des établissements supérieurs,
une quarantaine de structures. Qu’a-t-on mis à la place de ces établissements
? Rien. Que deviennent les élèves inscrits dans ces établissements
? Ne valait-il pas mieux que le ministre utilise son pouvoir régalien
pour régler ce qui ne va pas, au lieu de retirer l’autorisation
administrative d’exercer ? La période était-elle propice à une
telle décision ?
En tout cas, telles
sont les incongruités qui obèrent la qualité et la transmission
d’un enseignement sérieux et qui nous autorisent à parler d’une
« école en agonie », qu’il est urgent et impérieux de sauver.
Julius Blawa Gueye
Paru dans
Le Filament N°16