lundi 5 décembre 2011

Côte d’Ivoire : L’école est à l’agonie.



L’école dans notre pays,  se meurt lentement, mais sûrement.

Un état des lieux au lendemain du conflit armé est assez révélateur de la situation d’agonie de notre école, ainsi que du but visé par l’armée des rebelles. Un confrère a décrit la situation avec  des détails minutieux (voir encadré). Déjà en 2002, lors de l’envahissement des zones du Nord et de l’ouest par la rébellion, les salles de classe avaient été prises pour cible, afin d’y loger la soldatesque (dozos et rebelles). Pendant plus de huit années, la dégradation des infrastructures scolaires a été poussée à un rythme exponentiel. La descente des rebelles vers Abidjan a donné l’estocade générale. Non seulement,  les bâtiments administratifs ont été dégradés et détruits, mais  les archives et la mémoire de tout ce qui constitue la connaissance universitaire a été ravagée  par la furie destructive des hordes de soldats analphabètes. Tous les temples du savoir ont été éventrés, balafrés puis occupés par des gens qui faisaient une allergie chronique à tout ce qui est scolaire et universitaire. Tout a été pillé au point qu’il faut aujourd’hui tout reprendre à zéro, comme s’il n’y avait jamais eu ni écoles supérieures, ni universités dans notre pays. 

L’arrivée de Mme Anne Oulotto, ministre de la salubrité urbaine, n’a rien arrangé : sous sa houlette, toutes les installations des alentours des centres universitaires, qui nourrissaient le secteur informel de l’économie ivoirienne ont, dans le cadre de l’“opération de déguerpissement du domaine public”, été systématiquement déblayées afin, dit-on, d’assainir l’environnement des cités universitaires. C’est donc, à juste titre, que, soit dit en passant, on la surnomme « la ministre bulldozer ».
Suite à cette opération, les ravalements prévus se chiffrent à plusieurs milliards qu’il faut, d’abord et avant tout, trouver. En attendant, la reconstruction et la réouverture des  écoles détruites demeurent hypothétique, parce que pour le gouvernement la priorité des priorités n’est pas l’éducation, mais plutôt les prisons. On se rappelle, en effet, que la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) dont les locaux rénovés à hauteur de deux milliards FCFA, a rouvert ses portes le mardi 16 août 2011 à 11 heures. La cérémonie solennelle (suivie d’une visité guidée des lieux) qui a marqué cet évènement s’est déroulée en présence du ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko et celui de la justice, Ahoussou Jeannot… Le temps continue de s’écouler longuement, réduisant les élèves et les étudiants à l’oisiveté.

La réaction du gouvernement, surtout de la ministre Kandia est apparemment portée  par une farouche volonté de faire bouger les choses dans le bon sens, (kits scolaires gratuits, retour aux uniformes, etc.).  Mais, la maladresse, l’incompétence et autres « marchandages », telle l’affaire de 30 milliards (lire page 27) minent ses actions.
79,41% de taux d'échec au baccalauréat, 81,91% d’échec au BEPC… Des résultats catastrophiques dont certains tabloïds ont fait leurs choux gras. On a même parlé de « résultats indignes qui sont la résultante de l’incompétence du gouvernement Ouattara ». Même si  l’échec ne peut pas être directement du fait du nouveau pouvoir, le taux  effrayant d’échec (75 à 80%) devrait faire raison garder, pour que, dans le calme et avec le recul nécessaire, soient prises  des décisions idoines.
Votre navigateur ne gère peut-être pas l'affichage de cette image.
D’autre part, les affectations en sixième ont connu quelques difficultés qu’on pourrait qualifier de plus ou moins mineures. Sur l’ensemble des 272.242 candidats officiels présents à l’examen de CEPE, sont définitivement admis en classe de 6ème : 140.896 élèves, soit un taux de 51,75 %. Au total 226 établissements privés accueillent cette année 36.780 élèves contre 104.116 affectés dans les établissements publics.

Par ailleurs, ce qui est gênant, c’est la décision de Mme Kandia de supprimer la FESCI et d’interdire tout syndicalisme dans les lycées  et collèges du pays : “Désormais, aucune activité syndicale n’est autorisée aux élèves, conformément à la loi qui proscrit le syndicalisme au moins de 21 ans”. Comme l’a écrit le juriste Arsène Tohou, « cette décision intervient au moment où l'Ecole ivoirienne est en proie au plus grand malaise de son histoire avec à la clé, une année blanche universitaire garantie par la fermeture des Universités. C'est la FESCI qui est visée ; mais, l'on n'a pris le soin de ne pas la citer. Comme si Mme la Ministre avait eu peur de toucher le furoncle dont on sait tout de même que le percer soulagerait tout le corps. Pour donner un fondement légal à sa décision, elle invoque "la loi". "Nous avons consulté la loi qui stipule que pour participer à une activité politique ou syndicale, il faut être majeur", dit-elle. Bien entendu, un tel argumentaire est trop expéditif, trop superficiel, trop chorégraphique, trop classique pour être persuasif pour un esprit alerte et interrogateur. Car, si c'est à la loi ivoirienne qu'il est fait allusion ici, un regard exploratoire bien mené suffit pour découvrir que cette décision est d'une illégalité manifeste. Si nous soutenons que la décision de Mme la Ministre est manifestement illégale, ce n'est pas seulement parce que le fondement légal qu'elle invoque est inopérant, mais c'est aussi parce que nous sommes en présence d'une décision ministérielle qui est d'une inconstitutionnalité outrageusement frappante… En d’autres termes, c’est une méprise par action, commise par l'autorité émettrice de la décision, qui viole la Constitution de Côte d'Ivoire». Pour elle, le syndicalisme ne rime pas avec minorité (moins de dix huit ans). C’est là une grave atteinte aux droits de l’homme ;  sans  commentaire !  Le syndicalisme s’apprend aussi à l’école. La preuve,  Soro en est un produit local. Plutôt, mieux vaudrait encadrer  les jeunes pour éviter toutes dérives dans la défense des intérêts des élèves et étudiants… 

Le point d’orgue se situe dans l’action surabondante du ministre Cissé Bacongo qui a viré, du jour au lendemain, de la liste des établissements supérieurs,  une quarantaine de structures. Qu’a-t-on mis à la place de ces établissements ? Rien.  Que deviennent les  élèves inscrits dans ces établissements ? Ne valait-il pas mieux que le ministre utilise  son pouvoir régalien pour  régler ce qui ne va pas, au lieu de retirer l’autorisation administrative d’exercer ? La période était-elle propice à une telle décision ?
En tout cas, telles sont les incongruités qui obèrent la qualité et la transmission d’un enseignement sérieux et qui nous autorisent à parler d’une « école en agonie », qu’il est urgent et impérieux de sauver.      

 Julius Blawa Gueye

Paru dans Le Filament N°16

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

 

Le Filament Magazine Copyright © 2011 -- Template created by O Pregador -- Powered by Blogger