L’écrivain, c’est
notre avis, doit pouvoir prendre position face à tous les problèmes
d’intérêt national. Il a le devoir de s’exprimer clairement, en
plus de ses créations littéraires, par des contributions, des conférences,
des interviewes, pour donner son appréciation sur les grands sujets
en vue d’éclairer l’opinion. En d’autres termes, il doit porter
un regard critique sur la marche de la cité. Sans prendre forcément
la carte d’un parti, il doit se donner le droit à la parole
en prenant part à tous les débats politiques qui engagent le
destin collectif. Dans la société française d’hier, et encore
aujourd’hui, on attend des écrivains qu’ils prennent position chaque
fois que se pose une question cruciale mettant en jeu la vie de la nation.
On se souvient du rôle capital qu’a joué Emile Zola dans l’affaire
Dreyfus.
Or, une telle option,
surtout en Afrique, ne peut être sans risque. A un moment donné, l’écrivain
se retrouve forcément face au pouvoir. En position de conflit, en confrontation
avec le régime au pouvoir. Si ce dernier ne le musèle pas en le jetant
en prison, il lui oppose une censure. Wolé Soyinka a eu maille à partir
avec presque tous les pouvoirs au Nigéria. En Guinée, Thierno Monenembo
et Alioun Fantouré ont dû s’exiler pour échapper à la dictature
de Sékou Touré. Bernard Dadié bien que membre du Pdci Rda de l’époque
n’a jamais été tendre avec Houphouët-Boigny.
Lorsque l’on sait
qu’en Afrique, les tenants du pouvoir se battent toujours pour leur
maintien, l’écrivain, en raison de son pouvoir de mobilisation et
de son prestige, passe pour être un adversaire redoutable voire un
ennemi.
Certains princes, qui
ont conscience du risque qu’ils courent en martyrisant leurs artistes,
optent pour la ruse. Ils s’entourent d’écrivains et de penseurs
et s’affichent comme des hommes de culture. Le plus souvent nos littérateurs
se laissent, avec une certaine complaisance, entrainer. Il y eut des
époques où chaque roi avait dans sa cour un poète, un philosophe.
En Afrique, pour ne pas attirer leurs regards fouineurs, on les coopte
simplement pour faire d’eux ministres ou les intégrer dans les cabinets,
ou bien les nommer à des postes juteux dans l’administration.
Mais, faut-il pour ces
raisons que l’écrivain se détourne de sa fonction sociale et regarde
le pouvoir politique écraser le peuple ? Au nom de l’instinct de survie,
le créateur ivoirien doit-il se muer en zélateur et en adulateur pour
jouir des largesses corruptrices du régime au pouvoir ? La réponse
est non. « La politique nous concerne tous, et nous serons des
lâches si nous cédons à cette facilité : celle du détachement »
écrivait François Mauriac pendant l’Occupation.
L’écrivain n’a
pas le choix que de se mettre du côté du peuple opprimé. En
Afrique, l’art pour l’art n’a pas de sens. Sans sacrifier la forme,
qui est la substance vitale de l’œuvre d’art, l’écrivain africain
a le devoir de se dresser contre l’oppression. Il doit éclairer le
peuple en jetant la lumière sur les zones d’ombres de la gestion
politique. Le pouvoir, même s’il est détenu par son parti ou par
ses amis et parents, doit être considéré comme « un adversaire ».
Je veux dire qu’il doit être un opposant dans l’âme. Il doit surveiller
ce pouvoir, jouer un rôle de sentinelle en dénonçant les dérives.
C’est sa mission, c’est sa vocation. Toute autre justification n’est
que fuite, esquive et démission.
En Côte d’Ivoire,
c’est ce rôle qu’ont joué Tiburce Koffi et Venance Konan,
avec une outrance irrévérencieuse au moment où Laurent Gbagbo
était président de la république. Au-delà des excès dont ils
ont fait preuve, ils sont restés dans leur fonction qui est de dénoncer,
qui est de servir de contre-pouvoir au régime qui tient les rênes
du pouvoir. Aujourd’hui, le pouvoir qu’ils ont combattu a chuté.
Un autre régime a pris place au palais. Faut-il pour autant se taire ?
Tiburce Koffi est DG de l’ISAAC, Venance Konan est devenu DG de Fraternité-Matin.
Vont-ils continuer à faire couler l’encre pour « ébranler » le pouvoir
de leur bienfaiteur ? L’exercice semble périlleux…
Nommés à
des postes importants, la tentation d’être aphones ou flagorneurs
du nouveau prince est grande chez nos écrivains. Tous les actes que
pose le chef d’Etat arrachent aux plumes des écrivains proches du
pouvoir des ovations nourries. Voilà comment l’écrivain perd sa
crédibilité. L’on répondra que les choses ont toujours été ainsi.
Et ils ont raison. Mais justement c’est ce que nous sommes entrain
de dénoncer. Quelque soit le pouvoir, l’écrivain doit garder son
indépendance et tomber en transe chaque fois que la lumière de la
vie est privée ou confisquée.
Est-ce la posture de
nos démiurges aujourd’hui ? Pour le moment, leur silence devant le
massacre des valeurs démocratiques et républicaines est simplement
assourdissant.Macaire Etty
Paru dans Le Filament N°19
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