jeudi 22 avril 2010

Le christianisme nous a asservis

« C'est quoi la bible? Parole de Dieu ou un livre ordinaire d'histoire ?" Tel est l’intitulé d’un débat qui été lancé ou ouvert récemment dans un grand magazine africain. Ce débat, qu’on le veuille ou pas, nous donne l’opportunité de (re)poser la question du bien-fondé du christianisme en Afrique et, partant, de nous interroger sur les causes profondes de la stérilisation de l’Afrique.
D’abord et avant tout, on peut se demander pourquoi, dans cette Afrique moderne, nous en sommes encore à copier, à répéter les formes mortes, fossilisées, sclérosées des autres peuples, leur Histoire, leur mémoire, notamment celle du peuple juif ? Cette propension et cette obsession des Africains à perpétuer la mémoire juive, hélas ! tue la mémoire africaine, l’âme africaine, l'épopée de la grande douleur, la souffrance non seulement des Noirs d'Afrique, mais de ceux de la diaspora. Ce qui laisse penser que l'Afrique n’a pas de mémoire, pas d’âme, pas de foi. Sinon en quoi l’Histoire du peuple juif est-elle une réponse à nos multiples questions, en tant que Peuple ?

Chaque peuple a, dans son histoire, des messages et des messagers religieux. Ainsi, Bouddha, Mahomet, Jésus-Christ, les prophètes juifs (Moïse, Abraham, etc.) les textes Védiques, le Shintoïsme sont des messagers, des messages religieux destinés à des peuples précis, même si ces messages et ces messagers, par la suite, en s'exportant, sont devenus universels. Tout message s'inscrit donc dans les mythes fondateurs, les symboles d'une culture. Abandonner donc ses messages et ses messagers pour un peuple, c'est abandonner ses mythes, ses symboles, sa culture, en somme son âme.

L’Afrique a sa Foi, sa Religion. Une religion qui a pour berceau natal l'Afrique, une religion dont la tradition religieuse, le message religieux fait coïncider l'origine et l'apparition des peuples africains. Une religion qui explique la création de ces peuples, de leur art, de leur culture, de leur civilisation grâce aux mythes d'origine, cosmogoniques et religieux qui leur sont liés. Comme l'a écrit Barthélemy Comoé Krou, dans son livre « Conception de l'État et forme de démocratie », « C'est leur conception de la divinité qui les (les peuples) meut et détermine leur histoire. La conception de la divinité définit toutes les idées que les hommes, où qu'ils vivent, se font des autres réalités ; elle détermine les comportements collectifs, ainsi que les formes de l'organisation sociale et politique. Dans la mesure où la religion est simplement l'attitude que l'être humain adopte en face de la divinité telle qu'il se la représente, c'est l'histoire même de l'humanité qui est la véritable, authentique et permanente religion, le culte solennel, quotidien et perpétuel que chaque peuple rend aux dieux de sa conception. »

Comme on le voit, aucun peuple ne peut vivre sans contact naturel, spontané avec Dieu, sans relation avec Dieu, sans l’idée du Divin, sans le sentiment religieux. Ce qui montre clairement l'exceptionnelle importance de la religion dans la formation de l'identité profonde d'un peuple, son être intime, son âme. C'est donc du panthéon d'un peuple, de son projet religieux, ses messagers et ses messages que se déduit son projet de société, se déterminent, se forment l'ensemble des grandes valeurs intellectuelles, morales, éthiques, esthétiques, spirituelles fondatrices de sa civilisation, sa culture, son histoire, en dernière instance sa conscience. Installer donc un peuple au centre de sa religion, c’est l’installer à nouveau dans son propre génie créateur, dans le foyer ardent de sa propre forge. Quelle religion donc pour le projet de société de Libération de l’Afrique ? Quelle religion pour achever la décolonisation mentale, intellectuelle, religieuse, spirituelle des peuples africains ?

L’une des causes de la stérilisation de l’Afrique, me semble être la perte de notre identité spirituelle. L’aliénation spirituelle est la source, la racine des autres aliénations : culturelle, politique, économique. Libérer un peuple, c’est, d’abord et avant tout, le libérer spirituellement, lui restituer sa Foi, l’originalité de sa spiritualité. Installer un peuple au centre de son propre génie créateur, c’est l’installer à nouveau dans le foyer ardent de sa propre forge. La vraie décolonisation, c’est la décolonisation spirituelle et mentale. C’est ce qui va nous permettre de frissonner, de palpiter, d’entrer dans le monde des Hommes avec notre propre identité.

Les Africains n’ont nullement besoin d’aller chercher Dieu en Palestine. Car, depuis la nuit des temps, nous avons conscience de l’existence de Dieu. Nous n’avons pas attendu JESUS pour avoir une relation avec Dieu. Nous avons donc une Foi, une Foi Africaine, avec un Dieu unique, en-dessous duquel se trouvent des génies (des esprits). Les génies sont représentés par des statuettes qui ne sont que des intermédiaires. Des statuettes qui ne sont rien de plus que les statues qu’on retrouve dans les Eglises. Et, devant une pierre ou un arbre, ce n’est pas la pierre ou l’arbre qui est adoré : c’est l’esprit qui est présent en tant qu’intermédiaire du Dieu unique.

La Religion Africaine n’est pas païenne dans le sens où les Juifs attendaient le messie, puis il est arrivé. Nous les africains, nous n’attendons personne. Nous sommes ce que nous fûmes et nous serons ce que nous sommes. Mais, nos détracteurs s’en sont donné à cœur joie en assimilant notre Religion à la sorcellerie, etc. Des ethnologues occidentaux et même africains se sont évertués à comprendre la Religion Africaine « à la lumière » de la Bible. (Ce qui relève purement et simplement d’une absurdité qui interdit tout commentaire). Puis, par un amalgame curieux, ils en sont arrivés à cette conclusion : « Puisque meilleure est notre culture, donc meilleur est notre culte. Culte supérieur, meilleur culte, donc meilleur Dieu, vraie religion, vrai Dieu... ». Sans, bien entendu, jamais définir le critère scientifique de cette vraie religion, de ce vrai Dieu, et en omettant que tout culte est culturel, que tout message s'inscrit dans les mythes, les symboles de la culture d’un peuple.

Dieu est Dieu, mais chaque religion a sa façon de le concevoir, de l’adorer, de le nommer. La dénomination de Dieu n’est pas fortuite. Elle est partie intégrante de la doctrine et des rites de chaque religion. Ainsi, les juifs adorent Yahvé, les musulmans Allah, et les Africains Gnamien Kpli, Lago, Zambé, etc.

La christianisation et l’islamisation de l’Afrique sont, comme qui dirait, une « aventure ambiguë »… Avec ces religions dites révélées, nous sommes en situation coloniale. Nous sommes dominés, opprimés. Car, ces religions nous ont été imposées par les armes. Les formes prises par ces religions ont été l’oppression… Et puis, il y a une forme d’intégrisme et d’exclusivité chez Jésus, quand il dit : « Nul n’arrivera au Père s’il ne passe pas par moi ». Cette phrase est dangereuse parce qu’elle signifie que les autres, les adeptes de la Foi africaine, les Boudhistes, les hindous, les musulmans, etc., n’iront pas au « ciel ». Elle impose le christianisme comme religion unique et universelle. Ce qui n’est rien d’autre qu’une escroquerie morale. Il y a un Dieu unique, chaque culture produisant ses messagers.

La Foi Africaine, c’est un rapport de liberté sans condition avec Dieu. C’est une Religion de tolérance. Il n’y a jamais eu de guerre religieuse dans la FOI Africaine … Alors, selon quel critère la religion chrétienne décrète-t-elle, s’arroge-t-elle l’exorbitant droit de dire que son Dieu est le seul vrai et l’unique Dieu ? Pourquoi et de quel droit clamerait-elle que son rite d’adoration profere l’unique vraie religion ?...
En tout cas, comme l’écrit Jean Ziegler dans « La victoire vaincue », « les valeurs, les significations, les symboles qui constituaient les sociétés africaines ont d’abord été niés, limés, érodés, détruits par le bulldozer de la colonisation. On ne dira jamais assez : la conquête des continents d’outre-mer, la mise en esclavage des peuples d’Afrique, le pillage de leurs richesses n’ont été possibles que grâce à la mise en esclavage de leur esprit... La « conversion » des Noirs à la religion « chrétienne » a été tout, sauf l’œuvre de l’esprit saint ».

L’Afrique est en quête de modèles de sociétés, de modèles de développement. Elle veut retrouver sa nouvelle identité, son identité moderne. Certains intellectuels sont fascinés par le modèle Japonais à cause de sa puissance économique, industrielle, technologique et financière. Savent-ils que le Japon est resté animiste et a construit son modèle à partir de ce patrimoine animiste ? Et c’est sur cette racine animiste avec la déesse du Soleil Amaté-Rasuo-Mikami, la Déesse Nationale que sa Religion Nationale le SHINTO se fonde. Et, c’est sur elle qu’est bâtie sa puissance technologique, son rayonnement. Ceci nous démontre l'exceptionnelle importance de la religion dans la formation de l'identité profonde d'un peuple, son être intime, son âme.

Pour reconstruire l’Afrique, il est du devoir des Africains de connaître, faire connaître, reconnaître, réhabiliter, adapter, moderniser la Religion Africaine. Car, si Dieu a fait « l’Homme à son image », il ne faut oublier que les peuple créent leur « Dieu à leur image ». L’histoire des Juifs ne nous concerne pas. Ce n’est pas notre histoire. Le christianisme nous a asservis. Ce n’est donc pas avec lui que nous allons nous libérer de cet esclavage mental qui nous paralyse tant depuis des siècles.
Serge Grah
(Journaliste, Ambassadeur Universel pour la Paix)

Un article paru dans la rubrique sous l'art à palabre du Filament N°3



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