dimanche 13 novembre 2011

L'Europe n'est pas un paradis

Wilfried N'Sondé est un écrivain et musicien congolais. Il a été lauréat 2007 du Prix des cinq continents de la Francophonie. Nous l’avons rencontré. Entretien.

L’Europe n’est pas un paradis

« Le Cœur des enfants léopards » est le titre de votre roman. Que faut-il entendre par un tel titre ?

Wilfried N'Sondé.- Il s’agit d’une introspection, d’un saut dans l’intime. L’idée était de mettre de l’humanité sur l’actualité, celle concernant les populations pauvres vivant en France, issues de l’immigration africaine. Les enfants léopards sont à la base, ceux du Congo, je crée une filiation mystique, au début du livre, entre le peuple des Bakongos et les léopards. En écrivant le livre, je me suis aperçu que les enfants léopards sont tous ceux qui se battent dans la vie, avec les attributs du léopard, la férocité et la noblesse dans les gestes.
Où commence la fiction dans votre œuvre ? Votre roman est-il une autobiographie ?
W N.- Le seul élément biographique du livre, est le fait que, comme moi, le narrateur est né au Congo et émigre vers la France vers 5 ans. Le reste est pure fiction, même si un peu comme en physique, rien ne se perd, rien ne se crée !... C’est plutôt un roman d’amour. Ce livre se veut être une plongée dans l’intime des sentiments humains.

Dans votre roman, les jeunes tiennent une place importante. Que dites-vous généralement à cette jeunesse africaine ?

W N.- Mes quelques voyages sur le continent m’ont confirmé dans l’idée que les diversités y sont grandes. Du peu que j’ai pu voir à Abidjan, je dirai simplement que les jeunes ont besoin d’emplois et d’un meilleur système d’éducation. D’ailleurs, il s’agit là d’un problème mondial. Dans d’autres pays, les jeunes ont besoin que leur pays s’ouvre davantage sur le monde. S’il est peut-être un point commun à tous, c’est le complexe récurant par rapport à l’Europe, il faut arrêter de toujours se définir en fonction des Européens, ne plus constamment attendre leur approbation et exister au-delà de leurs préjugés.

Quelles sont vos influences littéraires ?

W N.- Mes influences littéraires sont multiples. Je suis entré en littérature en lisant les romantiques du XIXe siècle, je suis d’ailleurs resté un inconditionnel de Nerval. J’ai beaucoup lu la philosophie de Nietzsche, j’aime son idée de renversement des valeurs. L’un de mes ouvrages favoris, c’est « Les méduses », de Tchikaya U’Tamsi. J’aime aussi certains auteurs français contemporains, comme Véronique Olmi, Laurent Mauvignier, Virginie Langlois ou encore Carole Martinez.

Parlez-nous de votre vision de l’Afrique, au regard des évènements qui l’a secouée. Je pense par exemple à la Côte d’Ivoire, au Kenya, à l’Afrique du Sud, etc.

W N.- Ces évènements ne sont pas propres à l’Afrique, ils sont, je crois, le fruit d’une pratique mondiale, qui consiste à mettre l’économie avant l’humain, le profit personnel avant le partage, la jouissance de quelques uns avant l’intérêt du plus grand nombre. C’est aussi la conséquence d’une manière d’aborder l’autre, celui qui est différent. Au lieu de se nourrir des différences pour s’enrichir, celles-ci font peur, créent des hiérarchies absurdes entre les êtres humains et amènent violences et chaos. Encore une fois, ces problèmes de fond et leurs manifestations ne sont pas le triste privilège de l’Afrique, mais elles y trouvent leur expression la plus horrible. Je crois que c’est sur le continent africain que les changements essentiels d’une certaine conception de l’humanité vont apparaître.

La plupart des jeunes africains sont prêts à braver toutes sortes de dangers pour se retrouver en Europe. Que pourriez-vous leur donner comme conseil ?

W N.- Dans le cas de guerres ou de pénuries aigus, je ne peux pas me permettre de condamner un tel choix. Maintenant, je pense qu’il existe une vraie propagande mondiale, qui crée l’illusion que l’Europe est un paradis, et l’Afrique un enfer. Nombreuses nations occidentales, notamment la France, se sont bâties sur ce mensonge. De ce fait, c’est très difficile pour eux de tenir un autre discours... Ceci étant, j’aimerais dire aux jeunes que le bonheur est à trouver en soi, l’environnement est une chose qui se transforme par l’action individuelle. Pour près de 90 % des immigrés hors Union Européenne qui arrivent en Europe aujourd’hui, sans papiers, sans argent, sans qualification, la vie est un vrai enfer, qui ne mérite pas que l’on prenne autant de risques. Il faut, je pense, qu’il y ait une prise de conscience de la part des dirigeants politiques, des enseignants, des artistes, de tous le monde, pour que les discours sur l’Afrique changent, mais que surtout, les pratiques des Africains changent aussi, à tous les niveaux. Nous devons être maîtres de notre destin et de celui des plus jeunes d’entre nous.

Pensez-vous que les écrivains africains peuvent contribuer aux changements de mentalités ?

W N.- J’espère que tout le monde devrait contribuer aux changements de mentalités dans le monde.

Vous êtes francophone, vous remportez un prix de la francophonie. Comment se vit ce fait là dans une ville germanique comme Berlin ?

W N.- Ce qui est important à Berlin, c’est le fait que j’ai gagné un prix littéraire, cela donne de la crédibilité. Le reste n’intéresse pas vraiment... Le monde dans son ensemble est devenu un espace de partage de valeurs humaines, malheureusement pas toujours les meilleures.

Interview réalisée par Serge Grah

Paru dans le Le Filament N°15

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