mercredi 18 janvier 2012

La Charte du Nord

En Côte d’Ivoire, il y a quelques années, des tracts anonymes appelés «La chartre du Nord» ont été distribués secrètement, à l’intention des ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire. Ceux qui, à l’époque, s’étaient faits les chantres de ce ces tracts, disent, ne plus en retrouver aujourd’hui la moindre trace. Parmi ces personnes, on peut citer la méga reggae star Alpha Blondy.

D’aucuns se posent la question de savoir ce qu’était cette charte et quelle en était le contenu. Cet article est destiné à apporter des éléments de réponses à ces interrogations.

Autrement dit, nous allons examiner les textes de cette « charte » dans ses deux versions (1 et 2), du point de vue de la forme comme du fond, avant de nous prononcer sur les conséquences sur la vie politique actuelle.

De la forme de «La Charte du Nord»

Une « charte » est, selon le Petit Larousse, une loi ou des lois constitutionnelles d’un Etat, établies par concession du souverain et non par les représentants du peuple. En d’autres termes, la Charte est un texte fondateur, à l’instar de la Constitution d’un Etat. Elle est l’émanation directe du titulaire de la souveraineté qu’est le peuple. A ce titre, elle détermine les organes qui dépendent d’elle et en distribue les rôles et les compétences.

La plupart des textes juridiques de cette nature, notamment les chartes, comportent trois parties, à savoir : le préambule, le corps du texte et la signature.

En ce qui concerne «La Charte du Nord», il y a deux versions : celle de 1991 et celle de 2002. De plus, il n’y a pas de préambule qui renvoie à d’autres textes (comme la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme, etc.) dont les signataires s’inspirent et surtout auxquels ceux-ci s’engagent à se conformer.

Sans préambule, le premier texte lance, d’entrée de jeu, un appel identitaire à tous les ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire. « En tout état de cause, la charte du Nord recommande à tout ressortissant du Grand Nord et à tout ami du Grand Nord de faire de l’appel son livre de chevet ».

Il faut signaler d’emblée que cette Charte ne fait nullement allusion à la Déclaration des Droits de l’homme (1789 et 1948). Si bien qu’on ne sera pas surpris plus tard de voir que, dans son application, la «Charte du Nord» ignore le respect des droits de l’homme et/ou du citoyen.

Au niveau du corps de chacun des deux textes, les différents paragraphes ne sont pas numérotés. Les deux chartes distillent un fatras d’idées ; Si bien que l’on revient souvent sur les mêmes choses déjà exprimées, sans renvoi aucun. En d’autres termes, les textes sont mal élaborés et nous font vérifier l’adage qui dit que tout ce qui ne se conçoit pas bien ne saurait s’énoncer aisément. «La Charte du Nord», peut être considéré comme un tract, puisque, à la fin des textes, il n’y a aucune signature : ni nom, ni titre des auteurs, soi-disant « par crainte des représailles ». Ce qui dénote du manque de courage des initiateurs de ces textes ; auteurs qui, pourtant, proclament, on ne sait pour quelle raison, leur attachement aux idéaux du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) : « Sans renier notre passé de la période des luttes pathétiques et héroïques du RDA, sans remettre en cause notre attachement aux idéaux du grand parti le RDA, il importe désormais de situer le Grand Nord à l'écart du PDCI, très loin du FPI et de l'opposition. Parce que cette région doit emprunter sa propre voie, car la différence de zone entraîne, ipso facto, une différence de compréhension et de comportement et une différence d'intérêts, lesquels peuvent être complémentaires mais jamais semblables ».

Rappelons que c’est un des ténors du RDR, feu Lamine Diabaté, qui est soupçonné d’être l’auteur et l’instigateur de tout ce tract.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le texte ci-dessous, extrait de son discours de 1995 à Odienné : « Le PDCI dit que nous sommes des peureux. Nos grands-pères n’ont pas eu peur de prendre cette région avec les fusils et la poudre. Nous ne voulons plus de ces gens parce que le PDCI nous manque de respect, nous méprise et ne nous considère pas. Ils nous ont traités comme des animaux : ils ont injurié Alassane, son père, sa mère et nous. Mais, ils ne nous connaissent pas. Parce que c’est avec des fusils et des balles que nos grands-parents ont conquis cette terre. Ils ne veulent plus entendre l’appel du Muezzin de la mosquée pour la prière. Ils ne veulent pas de l’Islam et des musulmans. Ils envoient les militaires les frapper dans les mosquées (…). Nous avons les mêmes armes qu’eux. Nous avons aussi nos hommes dans l’armée. Nous ne voulons d’eux ni aujourd’hui, ni demain. Depuis que Houphouët est mort nous n’avons connu que brimades, honte et humiliations ».

Du fond de «La charte du Nord»

Du point de vue du fond, les deux textes la «Charte du Nord» visent les mêmes objectifs, à savoir : prendre, vaille que vaille, le pouvoir d’Etat.

Même présenté dans un fatras d’idées, le fond revient inlassablement comme un leitmotiv et tient à trois idées maîtresses :

1) La région du Nord est politiquement isolée et méprisée, et ses habitants sont traités comme « des citoyens de seconde zone ».

2) Le parti d’Henri Konan Bédié nie la nationalité ivoirienne à tout un pan de la population de la Côte d’Ivoire, les ressortissants du Grand Nord, qui se reconnaissent dans l’un des leurs : Alassane Dramane Ouattara. En d’autres termes, la cause d’Alassane Dramane Ouattara a été artificiellement transformée en une affaire régionale : « si l’on insulte ADO en le traitant d’étranger, disait-on, c’est l’ensemble des Nordistes qu’on a ainsi rejetés ». Dans cet ordre d’idées, les auteurs de la première version de «la charte du Nord», ont «recadré» les origines précoloniales des Ouattara dans la région de Kong. Ainsi, pour eux, mêmes si les familles Ouattara et Sanogo débordent la frontière septentrionale de la Côte d’Ivoire, tout Ouattara reste toujours Ivoirien. Ceci a fait dire au Dr Christophe Sandlar que «les auteurs de ce document, ont grandement contribué à la crise identitaire actuelle en accentuant avec force la confusion Grand Nord/Dioula/étranger/Alassane qui préexistait».

3) En tant qu’authentiques premiers habitants de la Côte d’Ivoire, les peuples du Nord, ne doivent pas être des « suiveurs ». Ils doivent tenir leur voie spécifique, rester au centre, et non à droite, ni à gauche. Demeurer d’éternels accompagnateurs du dessein d’autres peuples froisse leur amour-propre et partant, leur honorabilité. Ils ne supportent plus que l’on leur fasse appel quand c’est difficile, et les repousse quand la tempête est apaisée. Mieux, ils exigent qu’Alassane soit le successeur d’Houphouët-Boigny, s’il réussit à résoudre le problème de la crise économique qui a obligé le vieux président à lui faire appel. Il ne peut pas mettre de l’ordre dans les finances et laisser un autre en recueillir les dividendes. A cet élément identitaire, s’est greffée la question musulmane.

Rappelons que, à Korhogo, plusieurs années après la distribution des deux chartes, M. Hamed Bakayoko, fort de tous ces éléments, avait, à l’invitation des jeunes Nordistes, vanté, de manière à peine voilée, les mérites des auteurs du coup d’Etat de décembre 1999 et la rébellion de 2002, en ces termes : « Je vous demande donc d'être déterminés. N'acceptez pas qu'on vous manque de respect. Il faut qu'on nous respecte dans ce pays (…) ».

Puis, parlant d'Alassane Dramane Ouattara, M. Hamed Bakayoko avait déclaré, dans une sorte d’ultimatum : «On nous a dit, ici, qu'il ne sera jamais candidat ; il est aujourd'hui candidat. Les mêmes nous ont dit qu'il ne sera jamais président ; il sera le prochain président de Côte d'Ivoire. Rien ne se fera dans ce pays sans nous. Rien ne se fera dans ce pays sans notre respect. Ceux qui ont joué avec ça ont vu. Ceux qui veulent jouer encore avec ça verront».

A tout prendre, les deux textes de «La Charte du Nord» sont un appel à la sédition, à la limite d’une association de malfaiteurs. A l’analyse des faits, on constate que les récriminations d’un Nord délaissé n’ont aucun sens, du moins dénotent d’une mauvaise foi notoire, du fait que beaucoup d’investissements ont été faits dans les différents villages et villes du Nord.

Les conséquences de « la Charte du Nord »

Les idées mises en avant par les deux textes de la «Charte du Nord» perduraient depuis plusieurs années, et au fil du temps, elles ont conditionné le comportement des adhérents du RDR issus du nord. On a alors fait une fixation sur la prise du pouvoir. Le premier acte de cette prise du pouvoir a été le coup d’Etat le 24 décembre 1999 qui a renversé Konan Bédié. Le deuxième acte a été un coup d’état manqué qui visait à renverser le président Laurent Gbagbo et qui s’est mué en rébellion. C’est cette fixation sur le pouvoir qui explique l’intransigeance des rebelles durant les négociations dans les capitales de certains pays africains, ainsi que le non-respect de l’Accord de Ouagadougou, le refus du désarmement avant les élections, etc.

Les conséquences de la charte du Nord sont également palpables sur la nature ou la configuration du gouvernement. La voie choisie par le président Alassane Ouattara est de préférer et privilégier le régionalisme, comme principe fondement de gouvernement. En effet, 80% des nominations aux emplois supérieurs concernent des Nordistes. Plus de 50% des membres du gouvernement sont des ressortissants du Nord, une prouesse que, auparavant, aucun autre président n’avait jamais réalisée en Côte d’Ivoire. L’armée nationale non seulement a intégré les rebelles, mais en plus, des grades leur ont été distribués, y compris même aux dozos, chasseurs traditionnels dont la cruauté est sans limite, et qui sont disséminés dans la zone du sud où ils commettent impunément des exactions sur les populations sans armes.

Alassane Ouattara au pouvoir, objectif atteint

Pour conclure, nous dirons que, à l’évidence, même si «la charte du nord» a atteint son but, il se trouve qu’elle a ouvert une boîte de pandore qui ne milite pas en faveur de la cohésion nationale, ni de la construction de l’unité nationale en côte d’Ivoire. Au point qu’il est à craindre que d’autres régions emboîtent le pas aux gens du Nord.

Source : Le blog de Claudus

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