mercredi 18 janvier 2012

De l’amnistie de Soro Guillaume

En visite aux Etats-Unis, le Premier ministre ivoirien, M. Soro Guillaume, a accordé une interview à la Voix de l’Amérique (VOA). J’ai pu lire avec attention cette interview dans le quotidien Nord-Sud du mardi 20 décembre 2011 et je me permets, comme à mon habitude, d’émettre ici quelques réflexions que m’ont inspirées les propos du Premier ministre ivoirien.

Par exemple, répondant à la question « Que feriez-vous, Monsieur le Premier ministre, si votre nom est sur la liste d’Ocampo ? », M. Soro Guillaume a déclaré ceci : «Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas inquiet ! ». Entendez par là : je suis tranquille, je n’ai aucune crainte. Autrement dit, M. Soro Guillaume affirme qu’il n’a pas de souci à se faire, car il n’a rien à se reprocher et nul n’a rien à lui reprocher.

En lisant cela, je me suis posé mille et une questions. En voici une : Comment M. Soro Guillaume peut-il crier si haut et si fort qu’il ne se fait aucun souci, quand on sait qu’il est le chef, pour ne pas dire le 1er responsable, devant Dieu et devant les hommes, des exactions, des tueries perpétrées depuis 2002 par les rebelles, rebaptisés « Forces nouvelles » (FN), puis Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, M. Soro Guillaume a, pour en témoigner, écrit et publié aux Editions Hachette, à Paris, un livre dont M. Ocampo détient une copie et qui est intitulé « Pourquoi je suis devenu rebelle » et sous-titré «La Côte d'Ivoire au bord du gouffre ».

Nul n’ignore que, avec cette rébellion sous la direction « éclairée » de M. Soro Guillaume, il a été donné aux Ivoiriens de vivre et de subir des terreurs et des horreurs les plus immondes, des violences les plus ahurissantes «administrées» par un groupe d’individus en armes de toutes sortes, pour la plupart analphabètes ou demi lettrés, sans légitimité aucune, sans foi, manquant de bon sens et d'esprit.

En termes de bilan, on a noté, dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre 2002, l'assassinat notamment de l'ex-président Robert Guéi, du ministre de l'intérieur Boga Doudou et plusieurs officiers des forces de l’ordre. Le comble est que les rebelles, véritables hors-la-loi, ont imposé aux citoyens ivoiriens leur volonté et leurs caprices et, depuis lors, règnent par la force de leurs fusils. Tout est dit, tout est révélé dans le livre de M. Soro Guillaume. Il y a donc de quoi être inquiet que, avec ce «pavé dans la marre», M. Soro Guillaume affirme ne pas être « inquiet » et que sa conscience ne le gronde pas, alors qu’il a lui-même fourni des preuves de sa culpabilité, alors qu’il a lui-même affirmé au cours de ce même entretien : « En 2002, il y a eu des tueries ». Ces « tueries » sans doute compteront pour beaucoup dans la balance de la CPI, si celle-ci se veut véritablement une organisation crédible et de justice.

Dans ce même entretien exclusif, M. Soro Guillaume a aussi affirmé ceci : « on ne peut pas être un dirigeant politique sans nuire quelques fois. Celui qui dit qu’il a été dirigeant politique et qu’il n’a jamais nui, il ment ! ». Non, Monsieur Soro ! C’est perfide de dire cela. Car, sur cette terre, des hommes et des femmes ont été ou sont des modèles de vie. Nous avons, par exemple, des gens comme Mandela, Gandhi, Lionel Jospin, entre autres, qui ont été de très grands dirigeants politiques : ils ont œuvré en permanence et de toutes leurs énergies pour la justice, la liberté, les droits humains ; ils n’ont nui à personne, du moins à ce que je sache ; ils nous ont appris la dignité pour agir de telle sorte à ne pas avoir honte de nos actes ; ils nous ont instruit que la plus grande force dont puisse disposer et jouir l’humanité est la non-violence qui nous éloigne de la bestialité et qui est, certes, plus puissante que les armes, fussent celles-ci de destruction massive. A l’inverse, ceux des dirigeants politiques qui ont cultivé la nuisance et la violence ont chèrement payé, tôt ou tard, leurs vices et crimes. Ils ne se doutaient pas, comme Joseph Savimbi et autres rebelles, de porter, inéluctablement et avec insouciance, le vêtement de la mort. Cela, le saviez-vous avant de prendre la direction de la rébellion et l’avez-vous aujourd’hui compris, M. le Premier ministre ?

Dans ce même entretien exclusif, M. Soro Guillaume, sur l’arrestation et le transfert de Laurent Gbagbo à La Haye, a affirmé : « l’ancien président, Laurent Gbagbo a été traité avec dignité et transféré à la CPI, là où il aura un procès juste et équitable ». Que M. Soro Guillaume nous permette de lui offrir à méditer cette toute petite phrase de Marivaux, extraite de son livre « L’Île des esclaves » écrit en 1725 : « Eh bien ! Iphicrate, on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste ; et nous verrons ce que tu penseras de cette justice… Quand tu auras souffert, tu sauras mieux ce qu’il est permis de faire souffrir aux autres… ». Sans commentaire !

Pour terminer, je voudrais m’arrêter sur la question de l’amnistie qu’il a évoquée. Dans ce même entretien exclusif, M. Soro Guillaume a affirmé : « C’est vrai que, en 2002, il y a eu des tueries, avec une rébellion, mais on a eu une loi d’amnistie et un accord politique qui a absout les faits ». Ceci signifie, en d’autres termes, que les rebelles ont été, selon M. Soro Guillaume, acquittés ou innocentés et que leurs crimes sont pardonnés et effacés. Ceci est faux ! Archi-faux ! Non, M. le Premier ministre ! L’amnistie (du grec ancien amnêstia = pardon, oubli) signifie qu’un individu est, d’abord et avant tout, reconnu coupable, et qu’il est puni ou punissable, et que par la suite, le pouvoir en place, aux fins d'apaisement social ou pour des considérations d'ordre politique ou social, intervient pour arrêter les poursuites contre cet individu, voire pour annuler sa condamnation.

Autrement dit, l’amnistie suppose comme préalable la reconnaissance de la culpabilité d’un individu pour délinquance, crime ou autre forfait de sang ou de viol, destructions des biens du pays, etc. Mais, l’amnistie n’efface pas le crime, ne gomme pas de la mémoire des gens le crime commis. Entendons-nous bien ! Avec l’amnistie, c’est seule la condamnation qui disparaît. L’amnistie ne blanchit pas un criminel, ne change pas l’image que la société a de l’amnistié. Ne nous faisons pas d’illusion !

Par ailleurs, l’amnistie, en tant décision de l’autorité ou loi spéciale d’un état donné n’est pas opposable à la Cour Pénale Internationale. Il faut aussi savoir qu’un crime, dès lors qu’il relève de la compétence de la Cour Pénale internationale devient imprescriptible, c’est-à-dire que, quel que soit le temps écoulé, on peut poursuivre le criminel.

C’est d’ailleurs pourquoi M. Maurice Papon, homme politique et haut-fonctionnaire français, a été condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité pour des actes commis lorsqu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, sous l'occupation allemande. Cette affaire judiciaire a commencé en 1981, après que Maurice Papon a été ministre du budget dans le gouvernement Barre. Préfet de police en mars 1958, Maurice Papon a également été impliqué dans la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 organisée par le FLN, et dans celle du 8 février 1962, organisée pour protester contre l'OAS, connue sous le nom de « l'affaire de la station de métro Charonne ».

Enfin, il faut noter que l’amnistie n’entraîne pas automatiquement le pardon, ni la réconciliation.

Ainsi donc, même si, en 2007, M. Soro a demandé publiquement pardon à la nation ivoirienne pour tous les torts qui ont été causés par son fait ou par le fait d’autres personnes sous sa conduite « éclairée », les Ivoiriens et les observateurs de la scène politique africaine gardent en mémoire les crimes commis, tels qu’ils sont consignés dans les journaux et les livres d’histoire. Les Ivoiriens attendent que finisse cette longue nuit pour que vienne enfin le jour où la vérité éclatera.

Quoiqu'il m’en coûte, c’est ce que je pense... 

Léandre Sahiri 

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