mercredi 2 mai 2012

Les ténèbres et les luminaires d’Alassane Ouattara


Après avoir, avec une brutalité inouïe, cassé les baraques et les locaux des opérateurs économiques au bord des artères de quelques quartiers et villes, sans une campagne de sensibilisation et sans mesure d’accompagnement, le nouveau régime a choisi d’embellir Abidjan, en semant des luminaires. J’en ai entendu parler et j’ai été voir ces luminaires.

Un acte de cécité politique et de laideur morale
J’ai vu les luminaires d’Abidjan. Ils sont beaux pour les yeux, mais seulement pour les yeux non exercés. Ils paraissent, en effet, beaux pour les yeux profanes ! Mais, ils ne le sont pas pour le cœur et pour l’âme. Car, ils ne riment pas avec le bon et le bien. Parce que le véritable Beau plaît au cœur et à l’esprit. Parce que le véritable Beau est bon et bien. Ainsi, les luminaires d’Abidjan ne sont pas beaux ; n’en déplaisent aux nouveaux flagorneurs et aux plumes converties à la cajolerie des nouveaux princes. Les luminaires d’Abidjan sont laids et c’est ce que je vais démontrer.
Entre électrifier les villages et inonder Abidjan d’un excès de lumière, où se trouve la priorité ? Pour une simple question de bon sens et de sagesse, la priorité, n’est-ce pas d’apporter de la lumière dans ces quartiers malfamés, abandonnés, empêtrés dans la gadoue de l’impécuniosité ? La priorité n’est-ce pas d’apporter un peu de cette lumière dans ces villages plongés dans la terreur des ténèbres où même les lucioles ont peur de s’aventurer ?...
Notre pays a besoin, surtout dans ses entrailles les plus reculées, d’électricité, de lumière. De lumière tout court et tout simplement, pour ne pas « se perdre » dans l’obscurité.  La priorité dans ce pays où pleuvent des milliards, dit-on, à chaque instant, et à contre saison, n’est-ce pas de doter de nombreux quartiers d’eau potable et d’électricité ?
Je vous le dis les luminaires d’Alassane Ouattara sont laids !
Hier, c’étaient Gonzagueville et Adjouffou qui rageaient d’être privés de lumière. Demain, sûrement, ne seront-ce pas les sous-quartiers d’Abobo, de Koumassi, d’Attiékoubé, d’Adjamé qui souffrent des coupures électriques intempestives qui crieront leur soif de reconnaissance ?
Le nouveau pouvoir, si sensible aux pleurs des indigents, lui, a remarqué que Cocody et Plateau souffraient d’un déficit de lumière… (Ah, la cécité de l’âme orgueilleuse ! ) Alors, à coup de milliards, Abidjan vient donc, grâce au nouveau régime d’être parée de luminaires.
Oui ! c’est vrai, ces indigents des quartiers périphériques, de leurs cases obscures, de leurs yeux meurtris, perchés sur leurs estomacs aplatis, se sont extasiés de loin de ce déploiement de lumière, de ce flot de luisance insolente (Ah, le pathétique des yeux non-initiés !) Mais, ils savent au fond de leur cœur que cette lumière n’est pas leur lumière. 

Les luminaires d’Alassane Ouattara préservent les ténèbres
Cette lumière qui gicle effroyablement des luminaires, cette lumière qui éclabousse arrogamment les rues et les murs des abidjanais frustrés de leur soif de liberté de sa luisance blafarde…, c’est la messe fade des nouveaux princes grisés, c’est la bamboula insipide des experts de l’apparence, c’est la danse frénétique des virtuoses du tape-à-l’œil,  c’est l’exhibitionnisme pervers de ceux qui sont incapables de comprendre et de savoir où se trouve la priorité.
Contrairement à la rhétorique des encenseurs et autres complimenteurs du nouveau chef d’Etat, Abidjan, avec ces luminaires impudiques, Abidjan vient de tomber dans les ténèbres. Avec tout le pays d’ailleurs. Les luminaires et la lumière qu’ils prétendent produire ne mettent pas fin aux ténèbres qui nous causent tant d’effroi et nous paralysent de frayeur. Bien au contraire.
Oui, nous sommes de plain-pied dans les ténèbres. Et pour cause.
Les ténèbres, ce sont ces ignares galonnés qui hantent les nuits abidjanaises, les nuits des provinces et des hameaux en quête d’âme à écraser, de bourgeon de vie à piétiner, des billets de banque à chaparder. Les ténèbres, ce sont ces chasseurs rustiques sortis des profondeurs de la géhenne, armés de fusils qui jouent à jouer aux gendarmes et aux policiers sous les yeux effrayés de nos pauvres paysans. Les ténèbres, ce sont les journalistes qu’on jette en prison, les écrivains qu’on bastonne (Bernard Dadié, Serge Grah), les écoles qu’on bombarde à coups de canon. Les ténèbres, ce sont ces universités fermées, ces bibliothèques fermées, ces livres fermés, ces étudiants désemparés réduits à infester les salons des leurs par leur oisiveté contagieuse.
Et la lumière, ce ne sont pas des luminaires aux formes géométriques grossières et suspectes, ensemencées ou accrochées, ici et là.
La lumière, la véritable, ce sont ces villages qui après quarante ans d’indépendance ont été électrifiés par les soins du détestable Laurent Gbagbo. « C’est qu’aucune personne, dotée de bon sens, n’aime l’obscurité imposée. Le laid, tout comme l’obscur, procure inconfort et malaise ». Mais, c’est vrai, mon cher ami ! Et pourtant, des centaines de villages sur lesquels passent les câbles de la haute tension électrique sont encore les otages des ténèbres, pendant qu’Abidjan la prostituée se goinfre comme une truie gloutonne des excès de lumière des luminaires.
Vous convenez avec moi : la Côte d’Ivoire ne se limite pas à Abidjan.
Mais, diantre ! La Côte d’Ivoire, est-ce seulement Abidjan et surtout Plateau et Cocody ? On me dira qu’Abidjan est la vitrine. Oui la vitrine ! Parlons-en ! La vitrine, c’est un espace aménagé dont le rôle est d’exposer ce qu’un magasin par exemple a de plus beau. Et, le rôle de la vitrine, c’est de donner une image publique et favorable. La fonction de la vitrine, c’est de plaire au regard, au regard extérieur. Au regard des visiteurs, des touristes, des occidentaux. Oui ! Plaire à tous ceux-là, à coup de milliards, en sacrifiant les pauvres populations englouties dans l’obscurité.
Mais, la Côte d’Ivoire n’est pas une boutique. La Côte d’Ivoire serait une boutique qu’on saura trouver des raisons de nous consoler. Car, ces derniers temps, la Côte d’Ivoire ne vend plus ; c’est elle qui a été achetée, (que dis-je ?) qui a été prise, cueillie.
L’Afrique a besoin de chefs qui sont aux soins de leurs populations surtout les plus pauvres, et non de ces chefs qui s’évertuent à vouloir plaire aux maîtres du monde. L’Afrique a plus besoin de chefs qui partagent, ne serait-ce que le minimum à la plus grande majorité que de chefs porte-faix d’autres chefs de territoires lointains. Notre pays a plus besoin de chefs qui se soucient de doter les villages d’éclairage public, plutôt que de pseudo chefs qui, au mépris des fourbus, s’évertuent à rassasier ceux qui sont déjà repus.
La fonction des luminaires de Ouattara : aveugler les Ivoiriens
Abidjan, écrit-on, serait devenu Las Vegas par de simples de jets saccadés de lumières. Il faut que je le dise net : Ces luminaires sont une architecture de mirage. Ils luisent, mais n’éclairent pas et ne peuvent éclairer et ne sauraient éclairer. Ces luminaires relèvent du cosmétique inutile, de l’habillage, du maquillage pour voiler les laideurs d’un pouvoir brutal, inimitable en inhumanité, incomparable en sectarisme, intraitable en intolérance.
Il faut ouvrir plus l’esprit que les yeux pour comprendre cette vérité : La lumière qui gicle de ces luminaires est une lumière aveuglante. La lumière, à un certain degré d’acuité, aveugle. Et, c’est la fonction voilée, secrète, ésotérique, obscure, sibylline de ces choses luisantes.
Ces luminaires sont là pour aveugler les Ivoiriens, de sorte qu’ils ne voient pas l’essentiel des choses. De sorte qu’ils ne voient pas le fond des choses. De sorte qu’ils ne voient pas l’intérieur des choses. De sorte qu’ils ne voient pas la profondeur des choses…
La lumière de ces luminaires a pour vocation de séduire, d’envoûter, de captiver aux fins de distraire les Ivoiriens et les détourner de ce qui est essentiel à leur bonheur, de les détourner vers le superficiel : les fadaises, les pacotilles, les niaiseries, les âneries, les fariboles, les inutilités.
Cette profusion de lumière vise à voiler les ombres que ce pouvoir produit, les ombres que ce pouvoir déverse sur le pays.
Abidjan ville de lumière comme Lucifer porteur de lumière
La lumière n’évoque pas toujours le Beau ou la Vérité. Satan se déguise en prince de lumière. Et, le prince de lumière s’appelle Lucifer. C’est l’ange porteur de lumière. Les Francs-maçons se font appeler les « frères de lumière ». Le hasard n’existe pas. Ces luminaires sont la métaphore du mirage que ce pouvoir fait miroiter à ses partisans pour les berner.
Non ! Abidjan n’est pas une fiancée fardée allant à une nuit de noces, mais bien une prostituée fanée qui s’est fardée pour voiler la laideur de ses rides. Des rides qui ne sont pas dues à la vieillesse, mais à une vie de perversion, de compromission, de génuflexion, d’agenouillement, d’abaissement, d’indignité, de pactes mauvais de tout ordre.
Les Ivoiriens ont besoin de consolation, de baume, de paroles et d’actes qui réconcilient, qui rapprochent et non de scintillements maladroits, de miroitements vilains, de feu d’artifice et de mirages trompe-l’œil.

Salomon Akonda, Analyste politique

Paru dans Le Filament N°21

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