samedi 19 juin 2010

Les noirs ne lisent pas

« Les Noirs ne lisent pas », tel est le titre d’un article que j’ai reçu le mois dernier et qui serait un texte lu, un jour, par M. Dee Lee, sur les ondes d'une station de radio de New York. Je voudrais ici, afin de dire, comme d’habitude, ce que je pense, revenir sur cet article, qui est passé presque inaperçu et dont le titre et le contenu m’ont vivement interpelé.
D’après cet article donc, nous les Noirs, dans notre grande majorité, nous n’aimons pas lire, nous refusons de lire, nous ne prenons ni la peine, ni le temps de lire, même quand les livres parlent de nous ou sont spécifiquement adressés à nous.
D’après cet article, comme nous les Noirs, nous ne lisons pas, alors « la meilleure façon de cacher une information, voire un secret, à un Noir, c’est de mettre ça dans un livre ». N’est-ce pas vrai ?
En tout cas, toujours d’après cet article, comme nous les Noirs, nous ne lisons pas, alors, notre aptitude à comprendre et à discerner est moindre, c'est-à-dire très réduite et ne se développe pas ; et, de ce fait, nous sommes incapables de savoir que nous nous privons ainsi des moyens de nous émanciper, de nous épanouir, d’évoluer ; nous nous condamnons volontairement à demeurer des esclaves, de générations en générations, nous contribuons ainsi, volontiers, à perpétuer notre maintien dans l’esclavage permanent préconisé par Le Code Noir. En tout cas, en ne lisant pas, nous nous autodétruisons inconsciemment.
Toujours d’après cet article, du fait que, nous les Noirs, nous ne lisons pas, alors nous cultivons, à nos dépens, quatre vices fondamentaux, à savoir : l’ignorance, la violence, l’avidité, et l’égoïsme. Ces trois vices, dont nous n’avons bien souvent pas conscience, sont, de toute évidence, trois armes fortes et efficaces que nous utilisons contre nous-mêmes. Pourquoi et comment ? C’est ce que je vais m’évertuer à démontrer ou à expliquer, en commençant par l’ignorance.

De l’ignorance
Il faut savoir que l’ignorance, c’est le fait de manquer d’instruction, de savoir, de connaissances, parce qu’on ne veut pas lire, ou parce qu’on refuse de lire, ou parce qu’on ne sait pas lire, ou parce qu’on n’est pas instruit, etc. Ce défaut ou ce manque constitue la première arme par laquelle on maintient un être humain en esclavage. Parce que, en vérité, on ne peut manipuler, exploiter et dominer que des gens ignorants ; tout simplement parce que, n’étant pas instruit de certaines choses, l’individu ignorant est borné, c'est-à-dire il ou elle manque d’esprit critique et de discernement, il ou elle est réduit au seul état de consommateur, de pourvoyeur ou convoyeur, de bête de somme ou bête de guerre...
Voyez-vous, nous vivons actuellement à l'ère de la Technologie et l'Information. L'opportunité nous est donnée, à tous et à toutes, de lire n'importe quel livre, sur n'importe quel sujet, n'importe quand, et n'importe où. Mais, voilà que, nous les Noirs, nous refusons de lire, nous ne lisons pas. Partout, il y a d'innombrables livres disponibles et facilement disponibles, tant dans les bibliothèques que dans les librairies du monde entier, y compris sur e-book…, sans mentionner les éditions et librairies spécialisées pour Noirs et fournissant des ouvrages de grande valeur susceptibles de nous permettre d'atteindre un certain niveau intellectuel et moral. Mais, malgré tout ça, il y a que c’est très peu d'entre qui nous lisent de façon soutenue, parce que la plupart des Noirs n’aiment pas les livres, ne se préoccupent pas de lire, ne se donnent pas comme loisir la lecture. Oui ! Combien sont-ils, en vérité, ceux et celles d’entre nous qui vont en bibliothèques, ou qui achètent des livres, ou qui, à un anniversaire ou à un mariage, offrent des livres ? Très peu ! Très très peu ! Et, ces quelques-uns qui lisent, généralement, soit ils passent pour des demeurés, soit ils gardent les informations pour eux-mêmes et meurent, parfois dans la misère ou le chagrin, sans livrer les richesses et les savoirs qu’ils possèdent ; dans le meilleur des cas, au risque d’être vus comme des extraterrestres, certains s’attèlent à écrire, du moins écrivent. Et, quand ils ont eu écrit, soit ils ne trouvent pas d’éditeurs, soit leurs ouvrages ne sont ni achetés, ni connus, ni lus. Ceci dit, j’en viens maintenant au deuxième vice, la violence.

De la violence
Viscéralement lié à l’ignorance, la violence est définie, en termes simples et clairs, comme l’accroissement irréfléchi, l’abus ou le mauvais usage de la force dont la nature et Dieu nous ont dotés, les uns comme les autres. La violence, qu’elle soit physique ou verbale est un dérèglement, c'est-à-dire un mal qui fait perdre, à tout individu, ses moyens de contrôle, la maîtrise de soi. Et, je dis, ce que nous vivons et que beaucoup semblent ignorer, c’est que, en vérité, c’est le manque d’instruction et d’éducation qui conduit et condamne, irrémédiablement, à la violence, sous toutes ses formes. L’individu instruit ou éduqué est libre et fort. Il ou elle tire sa force ou sa puissance des connaissances et des savoirs acquis, lesquels lui permettent d’« adoucir ses mœurs », de tuer en soi-même ou dépasser les sentiments de frustration et les complexes, d’user d’arguments pour se défendre, de ne pas être complice de sa propre destruction et de la destruction des autres, de comprendre le monde et, ayant compris celui-ci, ne plus s’en sentir le jouet passif… C’est ce qu’exprime Platon, en ces termes : « la violence est le produit de l’ignorance… L’être humain qui sait, il sait ce qu’il fait et il n’agit pas contre ses intérêts, ni contre les intérêts des autres. L’être humain qui n’est pas ignorant n’est pas violent. Bien au contraire ». Platon nous explique, ainsi, l’origine et les causes des guerres fratricides, des génocides, des rebellions dans les pays africains ; ainsi que le pourquoi des vols, des viols, des vandalismes, des crimes et autres délits, qui ont cours et lieu dans les ghettos, les bidonvilles, les townships, les banlieues où la majorité des habitants sont des illettrés ou des demi-lettrés, ce que M. Nicolas Sarkozy appelle « la racaille ».
Tels sont donc, comme vous voyez, les faits et méfaits de l’ignorance et de la violence que, nous les Noirs, nous vivons et vivrons encore et toujours, tant que nous continuerons à refuser de lire, tant que nous prendrons toujours plaisir à rejeter la culture de l’esprit qui, comme le filament dans une ampoule, apporte la lumière dans la vie de tout individu. Venons-en maintenant à l’avidité.

De l’avidité
Selon le dictionnaire Larousse, l’avidité est une forme de violence qui consiste à désirer quelque chose ardemment, avec force, de façon immodérée et parfois insensée ou déraisonnée. C’est un sentiment naturel et bestial, mais dont on ne peut s’affranchir que par l’éducation ou l’instruction. Or, comme nous les Noirs, nous ne lisons pas, la plupart d’entre nous sont des gens avides ; et avides de quoi ? Eh bien, de choses futiles et inutiles. Puérilement. Je vais vous en donner les preuves. Vous savez, partout où nous nous trouvons dans le monde, nous travaillons dur et fort, à tous les niveaux, jusqu’aux plus sales boulots ; et partant, nous gagnons beaucoup d’argent, parfois nous avons de grosses sommes d'argent à notre disposition. Mais, qu’en faisons-nous ? Eh bien, nous payons de grosses factures de téléphone, les produits exotiques, les habits, les parures et autres objets de beauté. Pendant les périodes des fêtes de Noël et de fin d'année, pour les mariages et les funérailles, nous dépensons beaucoup trop d’argent à des fins inutiles, pour ne pas dire, nous gaspillons nos fortunes durement acquises. Au point que nous constituons un marché juteux pour quelques entreprises. Quels que soient les produits, nous consommons tout et n’importe quoi, par avidité, c'est-à-dire poussés et mus par le plaisir et surtout le désir ardent de toujours posséder. Nous voulons posséder, et toujours, et encore, et davantage, sans penser le moins du monde, ni à épargner pour nos vieux jours, ni pour nos progénitures, ni à investir pour les générations à venir. Par exemple, au lieu de démarrer une entreprise, nous penserons, d’emblée et de préférence, à des mariages pompeux, à des funérailles grandioses, à l’achat de nouvelles paires de chaussures et des vêtements qui coûtent très cher, rien que pour « frimer », c'est-à-dire pour paraître des gens pleins, alors que nous sommes vides. Certains et certaines d'entre nous vont jusqu'à négliger leurs propres familles pour se procurer les tout derniers designs ou modèles griffés... D’autres pensent que le fait de rouler en belles voitures, ou bien le fait de vivre dans une grande maison leur octroie un certain «statut» avéré ou donne la preuve palpable qu'ils ou elles ont réussi dans la vie, que leur rêve est réalisé. Ce qui est faux et fou, tant qu’ils demeureront, aux yeux des autres, des ignorants qui s’ignorent et qui s’illusionnent avec de bonnes apparences et la fière allure de femmes et d’hommes intelligents…
Quels que soient les lieux où nous habitons, en Europe, aux USA, en Afrique…, les Noirs sont tous les mêmes ! La majorité d’entre nous croupissent, avec ou sans famille, dans des conditions précaires, dans la misère, parfois sans le minimum vital ou en proie aux pires souffrances. Mais, notre avidité, qui va de pair avec notre égoïsme (je vais en parler plus loin) nous empêche de les aider, encore moins de nous mettre collectivement pour constituer un lobby financier afin de mener une meilleure vie en communauté.
Nous dépensons beaucoup d’argent pour des magazines People, des chaînes de télévision et de radio pour Noirs et d'autres medias du même genre qui nous apportent, à volonté et à foison, des images négatives et destructrices de nos propres images et de nos propres foyers. Ainsi, nous dilapidons d'immenses sommes d’argent au profit des grandes firmes, même lorsque leurs possesseurs nous insultent, comme le font certains, en déclarant qu'ils ne veulent pas d’« argent noir ». Et puis, vous savez combien nous dépensons d’argent dans les produits exotiques, dans les perruques et faux cheveux, dans les produits cosmétiques pour nous tanner la peau et exhiber ainsi, sans vergogne, aux yeux de tous, notre honte d’être noir et notre complexe d’infériorité vis-à-vis des autres peuples qui saisissent toutes ces opportunités pour perpétuer l’esclavage, innocenter leurs crimes, justifier leur soi-disant supériorité, et se construire une communauté plus forte et plus prospère, à partir des profits qu’ils réalisent de nous et sur nous.
Par ailleurs, du fait que nous ne lisons pas, eh bien, nous refusons de faire entrer dans nos vies la lumière ou la culture de l’esprit qui nous aiderait ou conduirait à extirper, de nos habitudes et de nos mentalités, les vices, dont l’avidité, qui nous incitent à, sans conscience, dévorer nos moissons, engloutir nos richesses acquises, non moins ardument, à la sueur de nos fronts. Pour finir, venons-en à l’égoïsme.

De l’égoïsme
Tout le monde le sait, l’égoïsme est, comme la violence, un sentiment tout à fait naturel et bestial. Sa spécificité est qu’il porte un individu à centrer tout sur soi, à n’aimer que soi, à juger tout par rapport à soi, à se préoccuper exclusivement de son propre plaisir et de son intérêt strictement personnel, sans se soucier de l’intérêt des autres. Pour l’égoïste « les autres, c’est l’enfer » (Sartre). L’égoïsme est une tendance qui va à l’encontre ou aux antipodes des sentiments nobles, tels que l’altruisme, la générosité, le désintéressement, l’amour, la morale et la solidarité…, lesquels sont le fruit de l’éducation et de l’instruction, et qui élèvent l’être humain au-dessus des contingences immédiates et le poussent à agir en être pensants. Et donc, l’égoïsme est un vice. Malheureusement, ce vice est enraciné en la plupart d’entre nous, sans savoir que c’est une puissante arme par laquelle l’esclavage des Noirs se perpétue sous des formes variées. L'un des nôtres, l’Américain William E. Dubois, le confirme dans son livre, Le Dixième des Talents, en le dénonçant et décriant comme étant le rhizome de « la désunion viscérale dans notre communauté ». Or, comme nous les Noirs, nous ne lisons pas, eh bien, fort malheureusement, la majorité d’entre nous, nous n'avons pas lu ce livre, nous n’avons pas bénéficié de la substantifique moelle de ce livre, et même que nous ignorons l’existence de ce livre, ainsi que le message que son auteur, notre frère de sang, nous adresse ; un message qui pourrait aider au moins 90% de Noirs sans instruction à accéder à une meilleure qualité de vie...
A cause de l’égoïsme, ceux d’entre nous qui ont réussi, grâce à l’école, à l’éducation et à l’argent, regardent, de haut, les leurs, je veux dire les autres Noirs ; ou bien ils aident ceux-ci avec condescendance, non comme par devoir humanitaire, ni par confraternité. C'est-à-dire qu’on aide sans vraiment aider. On est généreux sans vraiment l’être. On pense aux autres non sans penser à les spolier… Tout cela est le fait de l’égoïsme.
C’est aussi à cause de l’égoïsme que nous ne parlons jamais, d’une même voix, que nous ne construisons pas ensemble, que nous ne travaillons pas ensemble sur des projets pour atteindre des réalisations communes. C’est également à cause de l’égoïsme que nous ne réalisons pas des œuvres grandioses, telles que les autres en ont accomplies, que nous admirons, que nous envions, et dont nous profitons, etc. Même quand nous avons l’ambition d’entreprendre ensemble, et qu’il arrive de nous mettre ensemble, nous laissons nos egos individuels triompher, dominer nos objectifs communs. Par exemple, nos prétendues organisations d'aide et de charité, nos œuvres de bienfaisance, nos dons ou donations, nos parrainages (...) sont seulement destinés à promouvoir les noms de certaines personnes, sans apporter de réels changements au sein de nos communautés. C’est aussi par égoïsme que nous sommes heureux et fiers de siéger ou plastronner dans des conférences, des congrès, des conventions…, qui ont lieu dans les grandes cités, dans des hôtels prestigieux. En ces circonstances, nous discutons de tout et de rien, parfois avec méfiance et en langue de bois, et très peu ou très vaguement au sujet de ce que nous projetons de faire. Nous ne sommes souvent dans ces forums que pour jouer des rôles subalternes, que pour quérir des places d'honneur ou des titres, ou bien c’est pour servir de faire valoir, sinon nous faire valider comme les meilleurs orateurs ou les « Buppies » (les parvenus) de nos communautés, et non pas comme les meilleurs réalisateurs…

Prenons la résolution de lire
Au regard de tous ces faits, pouvons-nous envisager que, tôt ou tard, il y aura une fin à notre égoïsme, à notre violence, à notre avidité, à notre ignorance ?
Probablement non, tant que nous refuserons obstinément de lire, de nous instruire pour ouvrir nos esprits et sortir de ce que Kant appelle l’« état de tutelle », c'est-à-dire l’incapacité à nous servir de notre propre entendement, à penser de manière autonome. Probablement non, aussi longtemps que nous refuserons l’échange et le partager des informations, des connaissances, des savoirs, par la lecture. Probablement non, aussi longtemps que nous continuerons à penser que nous «aidons» nos communautés en les entrainant à enrichir les plus riches, à payer des cotisations à des organisations (financières, religieuses et autres, bien souvent fantoches, hypocritement philanthropiques et sournoisement à but non lucratif, qui ne font pas plus que tenir d'extravagantes conventions dans des hôtels de luxe, pour nous vendre des rêves et nous entretenir dans des illusions de prospérité et d’aisance.
Toutefois, je suis convaincu que nous pouvons nous en sortir, si et seulement si nous nous décidons, ici et commençons, ici et maintenant à lire, à prendre l’habitude et le plaisir de lire.
Comme vous voyez, par ce texte, intitulé « Les Noirs ne lisent pas » M. Dee Lee, nous lance, à nous les Noirs, un défi. Oui ! Un défi nous est lancé. Relevons-le ! Et, pour relever ce défi, il n’y a qu’une voie, et une seule, au-delà de toute rancune et de toute rancœur, c’est de LIRE. C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri, Directeur de publication.

Un article paru dans la rubrique ce que je pense du Filament N°5

1 commentaires:

ongolaBoy a dit…

C'était déjà un défi d'arriver à la fin de ce texte :) .
Mais en tout cas, c'est un constat réel mais je ne l'attribue pas à l'heure actuelle aux seuls Noirs.
L'internet et surtout certains réseaux sociaux endorment certaines consciences et peut être plus chez les Nois :

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