lundi 27 septembre 2010

Militant ou Bête humaine ?

Les graves incidents qui, en février dernier, à la suite de la dissolution du gouvernement et de la CEI, ont eu cours en Côte d’Ivoire, sous l’égide du PDCI, du RDR et autres partis regroupés au sein du « RHDP », rappellent les manifestations du 6 février 1949 à Treichville. Ce jour-là, les militants du PDCI-RDA, suivant les mots d’ordre de leurs dirigeants, étaient venus boycotter la conférence d’un de leurs adversaires politiques, M. Etienne Djaumant. Ces militants avaient molesté des gens… Il s’en était suivi des casses, beaucoup de dommages, des interventions musclées des forces de l’ordre, des arrestations, des morts, etc. Ces événements rappellent également ceux du 18 février 1992. Tout le monde sait que, ce jour-là, les leaders du FPI n’avaient pas pris de gourdins pour casser ou des bidons d’essence pour incendier des véhicules, mais ils n’avaient pas pu contrôler les militants qu’ils avaient appelés à marcher ; ils n’avaient pas pu empêcher les actes de violence de tous ordres engendrés par le suivi de leur mot d’ordre.

Ces événements rappellent également ceux du boycott actif des élections, conduit par Le RDR et le FPI alliés dans le "front républicain" pour protester contre le Code électoral de 1994. Le boycott actif, dont le mot d’ordre avait été suivi à la lettre par les militants avait suscité de vastes manifestations de rue, les plus graves de l'histoire du pays, dont des milliers d’hommes et de femmes ont été privés de leur droit et devoir de vote ou ont payé, de leurs propres vies, le prix des plus forts.

Ces événements rappellent aussi les manifestations du jeudi 25 mars 2004 et du dimanche 28 mars 2004, à Abidjan, qui ont fait de nombreuses victimes, endeuillé plusieurs familles, et attisé des foyers de tension, du fait que certains militants, comme d’habitude, se sont entêtés, en grande foule moutonnière, à suivre les mots d’ordre, en dépit de l’interdiction de la marche organisée par les partis d’opposition.
Tous ces événements invitent à revoir ou à repréciser la notion de « militant » qui, comme vous voyez, apparaît chez nous comme un véritable mal qui, dirait-on, répand la terreur. En effet, il faut apporter des réponses précises à la question suivante : « Qu’est-ce qu’est militant ? ».

Un militant n’est ni un militaire, ni un brigand.
Le terme « militant » qui vient du latin miles, militis : soldat) concernait, à l’origine, les personnes qui se battaient, les armes à la main, pour défendre (ou imposer) leurs idées et convictions propres ou celles de leur école de pensée ou de leurs maîtres. D’où, le militantisme était indissociable de la violence.
Au fil du temps, cette notion a évolué. De nos jours, on appelle militant une personne positive, respectable, engagée dans une lutte idéologique, c'est-à-dire dont l’engagement ou le combat exclut toute violence et vise à rassembler, à faire triompher son idée ou la position qu’il défend. Dans ce cas, les militants se considèrent, non pas comme des gens qui détruisent, qui démolissent, mais comme des éléments permettant à la machine sociale de sauvegarder les acquis et d'avancer. C’est en ce sens que le militant diffère du militaire, du brigand ou du bandit.
En effet, là où le militaire est, a priori, fondé à user de son arme, en tant que soldat, homme de guerre, et fait partie des forces armées, le militant s’investit dans le dialogue et dans des actions pacifiques. Là où le brigand et le bandit se caractérisent par leurs crimes, leurs actes hors la loi (vol ou de pillage) commis avec violence et à mains armées, le militant s’investit dans les échanges et dans des actions non violentes. Ainsi donc, le militantisme ne saurait être confondu au militarisme, ni au banditisme, étant entendu que là où le militaire et le brigand imposent leur loi par l’arme et la violence, le militant est tenu de respecter les lois de la république et d’agir sans violence.

Malheureusement, cette forme de militantisme n’existe pas chez nous. On assiste plutôt à ce que d’aucuns appellent «le militantisme post-it». Celui-ci consiste à s'engager pour satisfaire des besoins immédiats et concrets, à se mobiliser selon les aspirations du moment ; mais, cette mobilisation ne s'inscrit pas forcément dans la durée, ni par conviction idéologique.

Des relations entre dirigeants et militants
Dans la mesure où, dans sa conception moderne, le militantisme se veut fondamentalement une lutte idéologique, et requiert une attitude prioritairement pacifique ou non-violente, il importe que les rapports liant les dirigeants aux militants ne soient pas de maîtres à esclaves, d’exécutifs à exécutants, de dominants à dominés. On ne saurait admettre que, unilatéralement, les uns imposent, à leur gré, des décisions que les autres, à leurs dépens, subissent… C’est dans cet esprit que, en Occident, les militants de base sont associés à des prises de décision et de responsabilité, et conviés à des colloques, séminaires, «universités d’été », en vue de leur socialisation et de leur formation à l’exercice de la citoyenneté et du pouvoir.
Bien au contraire, dans les pays africains, la plupart des dirigeants politiques prennent les militants pour du « bétail électoral » lors des scrutins. En-dehors des périodes électorales, c'est-à-dire en temps ordinaires, les militants sont vus et utilisés ni plus ni moins que comme des « bêtes humaines », autrement dit des animaux à visages humains dominés par leurs instincts et manquant d’intelligence, de jugement et aptes uniquement à suivre, tels des moutons, ce que pensent ou disent leurs chefs souvent dits charismatiques, à tort ou à raison. En conséquence, les militants sont exclus de toute décision politique, et donc, ne connaissent pas, ne comprennent pas, ne contrôlent pas les politiques menées par leurs dirigeants.

Militants, pour exécuter les sales besognes ?
Certes, le fait est que de nombreux militants, du moins la plupart, sont analphabètes, et acceptent de passer pour des « bêtes humaines ». Et, dès lors, ces militants acceptent d’être infantilisés, voire animalisés. D’une part, ils prennent leur situation de misère comme une fatalité qui les réduit à vivre éternellement dans l’ombre et à la solde des dirigeants. D’autre part, dans les partis politiques, ils limitent leurs rôles et leurs activités de militants, aux statuts de bêtes de somme, et exécutent tout bêtement de sales besognes, portent fièrement les cannes et les fardeaux des dirigeants, se font les porte-voix des leaders pour diffuser leurs « idéaux » dont, très souvent, ils ignorent l’esprit et la lettre, et qui, en général, ne sont ni plus ni moins que des idioties.
Ainsi, ignorants, ces militants s’impliquent résolument, du moins irrésistiblement, sinon instinctivement, c’est à dire sans jugement, ni raison, dans des actions horribles, dans des manifestations violentes, dans des actes de vandalisme sans nom, qui défient tout entendement et toute civilité : lors des manifestations, ils détruisent ou incendient les biens publics ; ils subtilisent les urnes ; ils boycottent des élections ; ils s’adonnent, à cœur joie, à des casses, à des pillages, à des vols, à des viols, à des assassinats, à des meurtres, etc.
Et, le comble, c’est que, au moment où ces militants se livrent à ces actes de barbarie, pendant qu’ils commettent ces crimes crapuleux, les dirigeants des partis, eux, sont sous haute garde ou se la coulent douce, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs proches.
D’ailleurs, nul n’ignore que ces dirigeants et leurs familles, à quelques rares exceptions près, se terrent, ne prennent pas part aux manifestions qu’ils suscitent ou commanditent, sous le fallacieux prétexte que leur sécurité, à eux, ne serait pas garantie. Comme qui dirait, ils seraient fous de mettre délibérément leur vie en danger, là où ils sont convaincus que des bêtes sans cornes, pourvu qu’on les excite outre mesure ou surexcite à souhait, demeurent, corps et âmes, disponibles pour s’exécuter merveilleusement, et sont prêts à mourir au nom du leader, moyennant quelques petits billets de banque, voire souvent sans rien en contrepartie.

C’est, sans doute, eu égard à ces faits qui mettent en mal le processus démocratique, que l’on affirme que les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie, ou que l’Afrique est malade de ses dirigeants. Mais, on oublie généralement d’ajouter que notre continent est également et surtout malade de ses populations militantes à qui font défaut, très souvent ou même trop souvent, le bon sens et la conscience.

Militants, du bon sens et de la conscience, s’il vous plaît !
Force est de reconnaître que nombre de leaders des organisations politiques se conduisent, au quotidien, comme des vers de terre, autrement dit, ils vivent nus : sans esprit critique, sans raison, sans dignité, sans jugement. Au point de nous convaincre que la seule force par laquelle ils tiennent les militants, c’est leur pouvoir d’argent. Sur cette base, leurs actes et leurs propos, loin de nous faire aller de l’avant, nous induisent à endeuiller, inutilement, nos familles, nous plongent dans l’angoisse, nous dépouillent de nos biens acquis au prix de mille efforts, nous dévalorisent aux yeux des autres communautés.
C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire et impérieux, chez nous, d’amener les militants à prendre et avoir conscience du fait qu’ils ont la force et la validité de leurs membres pour travailler et échapper aux pièges des pouvoirs d’argent. Les militants doivent prendre et avoir conscience qu’ils ont reçu, de Dieu et de la nature, l’intelligence et la sagesse pour ne pas se laisser abuser par les politiques. Ils doivent prendre et avoir conscience qu’ils ont les capacités et les ressources nécessaires et suffisantes pour éviter de se laisser manipuler par les dirigeants et pour nous faire éviter des situations déplorables, telles que celles que nous avons évoquées plus haut.

Et donc, c’est dommage, bien dommage que les militants africains se considèrent toujours comme des « bêtes humaines », et que comme telles, ils n’osent pas refuser la bêtise où les entraînent, la plupart du temps et à leurs dépens, les chefs, du moins les soi-disant chefs...
En avril 1792, Condorcet disait : « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé entre deux classes : d’une part, celle des hommes qui raisonnent, et d’autre part, celle des hommes qui croient et qui subissent ; d’une part, celle des maîtres et d’autre part, celle des esclaves » .
Cette déclaration situe le rôle du parti politique et l’importance de la formation des militants pour favoriser l’établissement de l’égalité, de la dignité, de la responsabilité, pour permettre aux dirigeants et aux militants de vivre dans une sorte de symbiose, en ce qui concerne les décisions à prendre et les actions à mener, surtout lorsque ces actions engagent non seulement la vie du parti, mais celle de toutes les populations du pays.
Dans cette optique, je pense que:
- premièrement, les militants doivent regarder les dirigeants comme des êtres humains et non comme des démiurges, c’est à dire non comme des êtres omnipotents et omniscients, organisateurs de tout l’univers, infaillibles, dont les paroles doivent être bues naïvement et les mots d’ordre exécutés à la lettre, sans réfléchir ;
- deuxièmement, il faut que les dirigeants considèrent les militants comme des êtres humains réfléchis, au même titre qu’eux-mêmes, qu’ils les respectent, plutôt que de les traiter comme des bêtes humaines, c'est-à-dire comme un ensemble d’animaux sans jugement, prêts, à tous instants, à exécuter, « par tous les moyens », n’importe quel mot d’ordre, au risque et au péril de leurs vies, ainsi qu’au mépris des droits des autres citoyens. C’est ce que je pense.

Léandre Sahiri.

Paru dans la rubrique ce que je pense du Filament N°3

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