Après avoir, avec une brutalité
inouïe, cassé les baraques et les locaux des opérateurs économiques au bord des
artères de quelques quartiers et villes, sans une campagne de sensibilisation
et sans mesure d’accompagnement, le nouveau régime a choisi d’embellir Abidjan,
en semant des luminaires. J’en ai entendu parler et j’ai été voir ces
luminaires.
Un acte de cécité politique et de laideur morale
J’ai vu les luminaires d’Abidjan.
Ils sont beaux pour les yeux, mais seulement pour les yeux non exercés. Ils
paraissent, en effet, beaux pour les yeux profanes ! Mais, ils ne le sont pas
pour le cœur et pour l’âme. Car, ils ne riment pas avec le bon et le bien.
Parce que le véritable Beau plaît au cœur et à l’esprit. Parce que le véritable
Beau est bon et bien. Ainsi, les luminaires d’Abidjan ne sont pas beaux ; n’en
déplaisent aux nouveaux flagorneurs et aux plumes converties à la cajolerie des
nouveaux princes. Les luminaires d’Abidjan sont laids et c’est ce que je vais
démontrer.
Entre électrifier les villages et
inonder Abidjan d’un excès de lumière, où se trouve la priorité ? Pour une
simple question de bon sens et de sagesse, la priorité, n’est-ce pas d’apporter
de la lumière dans ces quartiers malfamés, abandonnés, empêtrés dans la gadoue
de l’impécuniosité ? La priorité n’est-ce pas d’apporter un peu de cette
lumière dans ces villages plongés dans la terreur des ténèbres où même les
lucioles ont peur de s’aventurer ?...
Notre pays a besoin, surtout dans
ses entrailles les plus reculées, d’électricité, de lumière. De lumière tout
court et tout simplement, pour ne pas « se perdre » dans l’obscurité. La priorité dans ce pays où pleuvent des
milliards, dit-on, à chaque instant, et à contre saison, n’est-ce pas de doter
de nombreux quartiers d’eau potable et d’électricité ?
Je vous le dis les luminaires d’Alassane Ouattara sont laids !
Hier, c’étaient Gonzagueville et
Adjouffou qui rageaient d’être privés de lumière. Demain, sûrement, ne
seront-ce pas les sous-quartiers d’Abobo, de Koumassi, d’Attiékoubé, d’Adjamé
qui souffrent des coupures électriques intempestives qui crieront leur soif de
reconnaissance ?
Le nouveau pouvoir, si sensible aux
pleurs des indigents, lui, a remarqué que Cocody et Plateau souffraient d’un
déficit de lumière… (Ah, la cécité de l’âme orgueilleuse ! ) Alors, à coup de
milliards, Abidjan vient donc, grâce au nouveau régime d’être parée de
luminaires.
Oui ! c’est vrai, ces indigents des
quartiers périphériques, de leurs cases obscures, de leurs yeux meurtris,
perchés sur leurs estomacs aplatis, se sont extasiés de loin de ce déploiement
de lumière, de ce flot de luisance insolente (Ah, le pathétique des yeux
non-initiés !) Mais, ils savent au fond de leur cœur que cette lumière n’est
pas leur lumière.
Les luminaires d’Alassane Ouattara préservent les ténèbres
Cette lumière qui gicle
effroyablement des luminaires, cette lumière qui éclabousse arrogamment les
rues et les murs des abidjanais frustrés de leur soif de liberté de sa luisance
blafarde…, c’est la messe fade des nouveaux princes grisés, c’est la bamboula
insipide des experts de l’apparence, c’est la danse frénétique des virtuoses du
tape-à-l’œil, c’est l’exhibitionnisme pervers
de ceux qui sont incapables de comprendre et de savoir où se trouve la
priorité.
Contrairement à la rhétorique des
encenseurs et autres complimenteurs du nouveau chef d’Etat, Abidjan, avec ces
luminaires impudiques, Abidjan vient de tomber dans les ténèbres. Avec tout le
pays d’ailleurs. Les luminaires et la lumière qu’ils prétendent produire ne
mettent pas fin aux ténèbres qui nous causent tant d’effroi et nous paralysent
de frayeur. Bien au contraire.
Oui, nous sommes de plain-pied dans les ténèbres. Et pour cause.
Les ténèbres, ce sont ces ignares
galonnés qui hantent les nuits abidjanaises, les nuits des provinces et des
hameaux en quête d’âme à écraser, de bourgeon de vie à piétiner, des billets de
banque à chaparder. Les ténèbres, ce sont ces chasseurs rustiques sortis des
profondeurs de la géhenne, armés de fusils qui jouent à jouer aux gendarmes et
aux policiers sous les yeux effrayés de nos pauvres paysans. Les ténèbres, ce
sont les journalistes qu’on jette en prison, les écrivains qu’on bastonne
(Bernard Dadié, Serge Grah), les écoles qu’on bombarde à coups de canon. Les
ténèbres, ce sont ces universités fermées, ces bibliothèques fermées, ces
livres fermés, ces étudiants désemparés réduits à infester les salons des leurs
par leur oisiveté contagieuse.
Et la lumière, ce ne sont pas des
luminaires aux formes géométriques grossières et suspectes, ensemencées ou
accrochées, ici et là.
La lumière, la véritable, ce sont
ces villages qui après quarante ans d’indépendance ont été électrifiés par les
soins du détestable Laurent Gbagbo. « C’est qu’aucune personne, dotée de bon
sens, n’aime l’obscurité imposée. Le laid, tout comme l’obscur, procure
inconfort et malaise ». Mais, c’est vrai, mon cher ami ! Et pourtant, des
centaines de villages sur lesquels passent les câbles de la haute tension
électrique sont encore les otages des ténèbres, pendant qu’Abidjan la
prostituée se goinfre comme une truie gloutonne des excès de lumière des
luminaires.
Vous convenez avec moi : la Côte d’Ivoire ne se limite pas à Abidjan.
Mais, diantre ! La Côte
d’Ivoire, est-ce seulement Abidjan et surtout Plateau et Cocody ? On me
dira qu’Abidjan est la vitrine. Oui la vitrine ! Parlons-en ! La
vitrine, c’est un espace aménagé dont le rôle est d’exposer ce qu’un magasin
par exemple a de plus beau. Et, le rôle de la vitrine, c’est de donner une
image publique et favorable. La fonction de la vitrine, c’est de plaire au
regard, au regard extérieur. Au regard des visiteurs, des touristes, des
occidentaux. Oui ! Plaire à tous ceux-là, à coup de milliards, en
sacrifiant les pauvres populations englouties dans l’obscurité.
Mais, la Côte d’Ivoire n’est pas une
boutique. La Côte d’Ivoire serait une boutique qu’on saura trouver des raisons
de nous consoler. Car, ces derniers temps, la Côte d’Ivoire ne vend plus ;
c’est elle qui a été achetée, (que dis-je ?) qui a été prise, cueillie.
L’Afrique a besoin de chefs qui sont
aux soins de leurs populations surtout les plus pauvres, et non de ces chefs
qui s’évertuent à vouloir plaire aux maîtres du monde. L’Afrique a plus besoin
de chefs qui partagent, ne serait-ce que le minimum à la plus grande majorité
que de chefs porte-faix d’autres chefs de territoires lointains. Notre pays a
plus besoin de chefs qui se soucient de doter les villages d’éclairage public,
plutôt que de pseudo chefs qui, au mépris des fourbus, s’évertuent à rassasier
ceux qui sont déjà repus.
La fonction des luminaires de Ouattara : aveugler les Ivoiriens
Abidjan, écrit-on, serait devenu Las
Vegas par de simples de jets saccadés de lumières. Il faut que je le dise net :
Ces luminaires sont une architecture de mirage. Ils luisent, mais n’éclairent
pas et ne peuvent éclairer et ne sauraient éclairer. Ces luminaires relèvent du
cosmétique inutile, de l’habillage, du maquillage pour voiler les laideurs d’un
pouvoir brutal, inimitable en inhumanité, incomparable en sectarisme,
intraitable en intolérance.
Il faut ouvrir plus l’esprit que les
yeux pour comprendre cette vérité : La lumière qui gicle de ces luminaires
est une lumière aveuglante. La lumière, à un certain degré d’acuité, aveugle.
Et, c’est la fonction voilée, secrète, ésotérique, obscure, sibylline de ces
choses luisantes.
Ces luminaires sont là pour aveugler
les Ivoiriens, de sorte qu’ils ne voient pas l’essentiel des choses. De sorte
qu’ils ne voient pas le fond des choses. De sorte qu’ils ne voient pas
l’intérieur des choses. De sorte qu’ils ne voient pas la profondeur des choses…
La lumière de ces luminaires a pour
vocation de séduire, d’envoûter, de captiver aux fins de distraire les
Ivoiriens et les détourner de ce qui est essentiel à leur bonheur, de les
détourner vers le superficiel : les fadaises, les pacotilles, les
niaiseries, les âneries, les fariboles, les inutilités.
Cette profusion de lumière vise à
voiler les ombres que ce pouvoir produit, les ombres que ce pouvoir déverse sur
le pays.
Abidjan ville de lumière comme Lucifer porteur de lumière
La lumière n’évoque pas toujours le
Beau ou la Vérité. Satan se déguise en prince de lumière. Et, le prince de lumière
s’appelle Lucifer. C’est l’ange porteur de lumière. Les Francs-maçons se font
appeler les « frères de lumière ». Le hasard n’existe pas. Ces luminaires sont
la métaphore du mirage que ce pouvoir fait miroiter à ses partisans pour les
berner.
Non ! Abidjan n’est pas une
fiancée fardée allant à une nuit de noces, mais bien une prostituée fanée qui
s’est fardée pour voiler la laideur de ses rides. Des rides qui ne sont pas
dues à la vieillesse, mais à une vie de perversion, de compromission, de génuflexion,
d’agenouillement, d’abaissement, d’indignité, de pactes mauvais de tout ordre.
Les Ivoiriens ont besoin de
consolation, de baume, de paroles et d’actes qui réconcilient, qui rapprochent
et non de scintillements maladroits, de miroitements vilains, de feu d’artifice
et de mirages trompe-l’œil.
Salomon
Akonda, Analyste
politique
Paru dans Le Filament N°21